CommeprĂ©cisĂ© plus haut, il s’agit de ceux rĂ©alisĂ©s au 19 Ăšme par Georges Tholin, archiviste du L.&G. ; de Jacqueline ChaumiĂ©, Archiviste PalĂ©ographe, qui publie en 1928, un thĂšse magistrale sur ce suje t, mais aussi du livre de l’historienne Marion Melville « La vie des Templiers » (1951), et bien sĂ»r, du livre de raison du commandeur le plus cĂ©lĂšbre de la rĂ©gion, Ce titre est prĂ©sent dans l'album suivant Bretagne Traditionnelle Chansons Bretonnes Traditionnelles

leplus embĂȘtant fĂ»t la coupure de courant on ne pouvait pas traire les vaches; en attendant une solution ou que le courant revienne, comme on dit, on a "dĂ©serrĂ©" les vaches, ou plutĂŽt "soulagĂ©", en les trayant Ă  la main, mais quand on n'a pas l'habitude, çà prend du temps; dans l'aprĂšs-midi, armand et jean-renĂ© ont installĂ© une poulie pour traire au tracteur

Passer au contenuAccueilLe moulin NOS CERTIFICATIONSProfessionnelsNos produits NOS ENGAGEMENTSParticuliersActualitĂ©sContactMOULIN DE CARMENAIS DĂ©couvrez tous les produits de notre meunerie Ă  Saint-ServantSpĂ©cialisĂ© dans la fabrication de la farine de sarrasin blĂ© noir, la farine de froment blĂ©T55, les farines biologiques blĂ© noir et blĂ©, farine complĂšte et farines sans gluten, le Moulin de Carmenais propose ses farines pour la prĂ©paration de recette telle que les galettes, les crĂȘpes, les pizzas, les pains, les sauces ou encore toutes sortes de part de toutes vos demandes. Que vous soyez sur le secteur breton / Loire Atlantique Nantes, Rennes, Vannes, Les Sables-d’Olonne, La Roche-sur-Yon, Saint-Jean-de-Monts, Pornic, Saint-Nazaire, La Rochelle, Clisson
 ou d’ailleurs en tous nos produits Nos farines de fromentTraditionnelles ou biologiques, nos farines de froment blĂ© T55 sont rĂ©alisĂ©s Ă  partir de blĂ© de Bretagne, de France ou d’ailleurs et sont soigneusement sĂ©lectionnĂ©s en amont afin de produire une farine de froment de qualitĂ©. La farine de blĂ© T55 est idĂ©al pour la rĂ©alisation des crĂȘpes, des pizzas, de pain, des gĂąteaux, des sauces ou encore des viennoiseries. Page load link MoncƓur sera comblĂ©, Belle sera ma vie : Un riche champ de blĂ© OĂč notre amour mĂ»rit, Éclate au firmament En gerbes de farine, En graines de froment La semence divine ! Pourquoi venir me voir S’il te faut repartir ? Amour, Ă©thique et fantaisie (La
Galettes bretonne jambon oeuf fromage champignon Connaissiez-vous le nom des outils d’un crĂȘpoloque ? oui oui, ça existe un crĂȘpologue, enfin du moins en Bretagne. Si je vous dis billig ? ou encore rozell ? Non ? Rien ? Sachez que vous allez pouvoir Ă©pater belle maman. Le billig est la galettiĂšre en fonte utilisĂ©e pour la cuisson des crĂȘpes et le rozell le petit rĂąteau en bois qui sert Ă  Ă©taler la pĂąte. Mais c’est dingue non ? ^-^ Nous voici Breton fluent sur ce blog. Ahhh la Bretagne, la Pointe du raz, les Bigoudennes, Concarneau, Belle Île, 
. soupir 
. trop beau ! Allez assez de piapias, voici la recette Comment faire des galettes de sarrasin Pour une quinzaine de galettes il vous faut 330 g de farine de blĂ© noir sarrasin 1 Ɠuf 1 pincĂ©e g de gros sel gris de GuĂ©rande 750 ml d’eau 1 cuillĂšre Ă  soupe d’huile MĂ©langez Ă  la main les diffĂ©rents ingrĂ©dients et laissez reposer au moins 4 heures si vous le pouvez, afin que la farine absorbe juste la quantitĂ© d’eau nĂ©cessaire. Si ce n’est pas possible, tentez quand mĂȘme le coup . Huilez lĂ©gĂšrement votre poĂȘle Ă  crĂȘpes anti-adhĂ©sive avec un papier essuie-tout. Versez-y une louche de pĂąte, attendez que la galette colore pour la dĂ©coller Ă  l’aide d’une spatule et retournez-la. Cela fait des petits trous dans la pĂąte versĂ©e, c’est normale. Laissez-la cuire encore 1 minute environ. Pour la garniture Beurrez gĂ©nĂ©reusement les deux cĂŽtĂ©s de la galette et dĂ©poser au centre du jambon blanc, de l’emmental rĂąpĂ©, un oeuf 
.. faites selon vos goĂ»ts. Vous pouvez aussi, astuce de mĂ©nagĂšre, la cuire que d’un cĂŽtĂ© en mĂȘme temps que la garniture 😀 . Le truc du crĂȘpologue de l’eau bien fraĂźche, qui permet Ă  la pĂąte de ne pas fermenter trop rapidement. A propos du blĂ© noir, le sarrasin Le blĂ© noir, ou sarrasin, est implantĂ© en Bretagne depuis le Moyen-Age. Il est intĂ©ressant car en plus de son goĂ»t, il ne contient pas de gluten. Les intolĂ©rants peuvent donc en consommer. Il fĂ»t pendant longtemps la principale culture vivriĂšre de la population bretonne. Sa consommation sous forme de galettes comme ici reste trĂšs ancrĂ©e dans les habitudes locales. La farine de sarrasin s’obtient de la mĂȘme maniĂšre que la farine de froment et sa couleur est grise, parfois chinĂ©e de noir. Enjoy !
FrançoisFabiĂ©, nĂ© au Moulin de Roupeyrac Ă  Durenque (Aveyron) le 3 novembre 1846 et mort le 18 juillet 1928 Ă  La Valette-du-Var (Var), est un poĂšte rĂ©gionaliste français. Le Moulin de Roupeyrac, sa maison natale, est aujourd'hui un musĂ©e consacrĂ© Ă  sa vie et Ă  son Ɠuvre. Brillant Ă©lĂšve Ă  l'Ă©cole primaire, il entre en 1857 au
Trois bigoudĂšnes sont parties prendre le carFarine de froment farine de blĂ© noirTrois bigoudĂšnes sont parties prendre le carElles vont Ă  New York faire des crĂȘpes et du far Gare de Quimper, kenavo au revoirFarine de froment, farine de blĂ© noirGare de Quimper, kenavo au revoirEssuyez vos larmes agitez les mouchoirsIl est midi, il fait encore tout noirFarine de froment farine de blĂ© noirIl est midi, il fait encore tout noirDĂ©calage horaire le soleil est en retardC'est haut, c'est haut, ma douĂ©, que c'est hautTous ces grattes ciel comme des sapins de noĂ«lHello good morning monsieur l'agentWhere is the crĂȘperie of madam' Kerjean?You are lucky, j'y suis allĂ© hier soirFarine de froment farine de blĂ© noirYou are lucky, j'y suis allĂ© hier soirSoixantiĂšme Ă©tage au fond du couloirSoixantiĂšme Ă©tage au fond du couloirBats la pĂąte Ă  crĂȘpe et bats la pĂąte Ă  farFarine de froment farine de blĂ© noirBats la pĂąte Ă  crĂȘpe et bats la pĂąte Ă  farFaut travailler dur si tu veux des dollars Faut travailler dur si tu veux des dollarsC'est bon, c'est bon, ma douĂ©, que c'est bonFinis les hamburgers on veut des crĂȘpes au beurre!Tout New York fait la queue sur le trottoirLes trois bigoudĂšnes sont devenues des starsLes trois bigoudĂšnes sont devenues des starsTrois bigoudĂšnes sont revenues en fanfareFarine de froment farine de blĂ© noirTrois bigoudĂšnes sont revenues en fanfareChacune Ă  son bras un mari tout noir Chacune Ă  son bras un mari tout noirSi vous voulez la fortune et la gloireFarine de froment farine de blĂ© noirSi vous voulez la fortune et la gloireJ'vous dirai comment faire des crĂȘpes et du far! Si vous voulez la fortune et la gloireJ'vous dirai comment faire des crĂȘpes et du far! PĂątede fine farine, moulĂ©e en tubes longs et creux, qui est un des mets favoris des Italiens: magasin de blĂ©. Boutique: magasin d'Ă©picerie. Partie d'une arme Ă  rĂ©pĂ©tition, contenant l'approvisionnement de cartouches qu'elle peut renfermer. (V. fusil.). MAGASINAGE (zi) n. m. Action de mettre en magasin. SĂ©jour d'une marchandise en magasin. Droits que l'on paye pour
Ă©mile colin — imprimerie de lagny NIKOLAÏ GOGOL ――――― VEILLÉES DE L’UKRAINE TRADUIT DU RUSSE Par E. HALPÉRINE-KAMINSKY ――――――― PARIS C. MARPON & E. FLAMMARION, ÉDITEURS26, rue racine, prĂšs l’odĂ©on ── PRÉFACE Qu’est-ce que cette nouveautĂ© VeillĂ©es du hameau prĂšs de Dikagnkat ? Quelles veillĂ©es ? Et encore lancĂ©es dans le monde par un certain Ă©leveur d’abeilles[1]. GrĂące Ă  Dieu, l’on a dĂ©jĂ  assez dĂ©pouillĂ© d’oies pour fournir des plumes et usĂ© assez de chiffons pour fabriquer du papier ! Assez de gens de toutes provenances et de toutes catĂ©gories se sont tachĂ©s les doigts d’encre, et voilĂ  qu’un Ă©leveur d’abeilles s’en mĂȘle aussi ! Vraiment, il y aura bientĂŽt plus de papier que de choses Ă  envelopper. » Mon cƓur avait pressenti, il avait pressenti tous ces discours un mois avant que je ne me fusse dĂ©cidĂ© Ă  publier ces rĂ©cits ! Je veux dire par lĂ  qu’à nous autres campagnards, montrer le nez du fond de nos retraites dans le grand monde — holĂ  ! petit pĂšre ! — c’est la mĂȘme chose que quand il vous arrive d’entrer dans les appartements d’un grand seigneur, alors qu’on vous entoure et qu’on se met Ă  rire Ă  vos dĂ©pens. Encore si ce n’était que la haute valetaille, mais le plus petit sauteur, le rien du tout Ă  voir qui fouille lĂ  dans la basse-cour, s’en mĂȘle aussi. Et tous se mettent Ă  frapper du pied et Ă  vous crier OĂč vas-tu ? Que viens-tu faire ici ? Va-t’en moujik, va-t’en. — Ah ! vous dirai-je
 mais Ă  quoi bon vous dire
 J’aurais moins de peine Ă  me rendre deux fois par an Ă  Mirgorod oĂč depuis cinq ans, je ne suis pas allĂ© voir le scribe rural ni l’honorable pope que de me montrer dans ce grand monde, car une fois qu’on s’y est montrĂ©, qu’on en soit fĂąchĂ© qu’on ne le soit pas, il faut quand mĂȘme tenir bon. Chez nous, chers lecteurs, cela soit dit sans vous fĂącher peut-ĂȘtre vous fĂącherez-vous qu’un Ă©leveur d’abeilles vous parle aussi familiĂšrement qu’à son compĂšre, chez nous, Ă  la campagne, voici ce qui se passe de toute Ă©ternitĂ© aussitĂŽt que les travaux des champs sont terminĂ©s, le moujik grimpe pour tout l’hiver sur son poĂȘle, et nous autres, nous cachons nos abeilles dans une cave obscure. Quand il n’y a plus une seule grue dans le ciel, plus une seule poire sur l’arbre, alors, aussitĂŽt le soir arrivĂ©, vous ĂȘtes sĂ»rs d’apercevoir, au bout de la rue, une maisonnette Ă©clairĂ©e d’oĂč sortent des bruits de rires, de chansons qui s’entendent au loin ; la balalaika[2] rĂ©sonne et quelquefois aussi le violon mĂȘlĂ©s au brouhaha des conversations. Ce sont nos vetchernitsy[3]. Elles ressemblent, voyez-vous, Ă  vos bals; seulement, on ne peut pas dire que ce soit tout Ă  fait la mĂȘme chose. Quand vous vous rendez au bal, c’est uniquement dans le bĂ»t de faire aller vos jambes et de bĂąiller dans vos mains ; tandis que chez nous, une foule de jeunes filles se rĂ©unissent non pas pour danser, mais pour faire marcher la quenouille et le fuseau. Au commencement, on semble tout absorbĂ© par son travail ; les quenouilles bruissent, les chansons coulent, pas une fille ne lĂšve les yeux, mais aussitĂŽt que les parobki[4] tombent en bande dans la khata[5] avec le violoniste en tĂȘte, ce sont des cris Ă  vous assourdir, des lutineries, des danses et d’autres amusements encore qu’on ne pourrait mĂȘme pas raconter. Mais ce qui vaut encore mieux c’est quand on se presse en un seul groupe compact et qu’on se met Ă  jouer aux devinettes ou tout simplement Ă  bavarder. Tudieu ! que de choses ne raconte-t-on pas ? D’oĂč ne va-t-on pas tirer de vieilles histoires ? Quelle montagne de terreurs n’en emporte-t-on pas? Mais nulle part peut-ĂȘtre, on n’a racontĂ© autant de choses merveilleuses qu’aux veillĂ©es de l’éleveur d’abeilles, Roudiy Panko[6]. Pourquoi les pays m’ont-ils appelĂ© Roudiy Panko ? Pardieu, je ne le saurais pas dire. Mes cheveux, il me semble, sont maintenant plutĂŽt gris que roux, mais chez nous, ne vous en fĂąchez pas, voici l’habitude quand les gens donnent Ă  quelqu’un un surnom, cela reste pour toute l’éternitĂ©. Donc, on se rĂ©unissait Ă  la veille d’une fĂȘte dans la chaumiĂšre de l’éleveur d’abeilles; on se rangeait autour de la table
 vous n’aviez plus qu’à Ă©couter. Il faut vous dire que les invitĂ©s n’étaient pas les premiers venus; ce n’étaient pas les simples moujiks du hameau ; ils auraient pu faire honneur mĂȘme Ă  un personnage plus important que l’éleveur d’abeilles. Ainsi, par exemple, connaissez-vous le sacristain de l’église de Dikagnka, Foma Grigorievitch ? Ah ! voilĂ  une tĂȘte ! Quelles histoires il savait tourner ! Vous en trouverez deux dans ce livre. Il ne portait jamais la soutane de coutil que vous voyez chez nombre de sacristains de village ; et si mĂȘme vous rentriez chez lui pendant la semaine, il vous recevait toujours en robe de drap fin couleur gelĂ©e de pommes de terre, et qu’il payait Ă  Pultava jusqu’à six roubles l’aune. Personne n’aurait pu dire, dans tout notre hameau, que ses bottes sentaient le goudron[7]. Chacun savait, au contraire, qu’il les nettoyait avec la meilleure des graisses que certain moujik mettrait volontiers dans sa soupe. Personne n’aurait dit non plus qu’il se mouchait avec le pan de sa robe comme le font certains autres de sa profession. Il retirait de sa poitrine un mouchoir blanc proprement pliĂ©, brodĂ© tout autour de fil rouge et, aprĂšs avoir fait ce qu’il Ă©tait nĂ©cessaire, le repliait de nouveau en douze carrĂ©s et le remettait dans sa poitrine. Le second invité  Eh bien, celui-lĂ  Ă©tait barine Ă  un tel point, qu’on aurait pu lui donner tout de suite la place de juge rural. Quand il lui arrivait de lever son doigt devant lui et de raconter, en le regardant, son rĂ©cit Ă©tait d’un si grand style qu’on aurait pu l’imprimer sĂ©ance tenante. Parfois en l’écoutant, on restait Ă©bahi ; on aurait eu beau se tuer, on ne comprenait rien. OĂč allait-il chercher des mots pareils?
 Foma Grigorievitch lui broda Ă  ce propos un joli Ă©pisode Il lui raconta qu’un collĂ©gien qui Ă©tudiait chez un sacristain, retourna tellement latiniste chez son pĂšre, qu’il avait mĂȘme oubliĂ© notre langue orthodoxe. Tous les mots, il les tournait en us ; une pioche, c’était pour lui piochus, une femme, femmus. Un jour, il se rend avec son pĂšre dans les champs, il aperçoit un rĂąteau et demande Ă  son pĂšre Comment, pĂšre, cela s’appelle-t-il dans votre langue ? » Et puis, sans y prendre garde, il pose son pied sur les dents du rĂąteau ; le pĂšre n’a pas eu le temps de rĂ©pondre que le manche basculant vient frapper notre latiniste au front. Maudit rĂąteau », s’écrie-t-il en portant la main Ă  la bosse que le coup vient de lui faire et en bondissant d’au moins un mĂštre. Comme il tape fort, que le diable jette Ă  l’eau celui qui l’a produit ! » — Vous voyez ! Il a bien su se rappeler le nom, le pigeon ! Cet Ă©pisode ne fut pas absolument du goĂ»t du grand styliste. Sans souffler mot, il se leva, Ă©carta ses jambes au milieu de la chambre, inclina lĂ©gĂšrement la tĂȘte en avant, passa sa main dans la poche du derriĂšre de son cafetan couleur petits pois, en retira une tabatiĂšre ronde vernie, claqua du bout de ses doigts sur le museau peint de quelque gĂ©nĂ©ral turc et saisissant une grosse pincĂ©e de tabac mĂ©langĂ© des cendres de feuilles de livĂšche, la porta Ă  son nez, le coude en avant et arrondi ; il aspira au vol toute la pincĂ©e sans mĂȘme se servir de son pouce ; et toujours pas une parole. Ce ne fut que quand il alla fouiller dans sa seconde poche et qu’il en retira un mouchoir de coton bleu rayĂ©, qu’il murmura tout bas le proverbe Jeter des perles devant les pourceaux !
 » Un orage va Ă©clater ! » pensais-je en remarquant que les doigts de Foma Grigorievitch allaient se plier en doulia[8]. Heureusement que ma vieille eut la bonne idĂ©e d’apporter en cet instant sur la table un pĂątĂ© chaud et du beurre. Tous se mirent Ă  la besogne. La main de Foma Grigorievitch, au lieu de montrer la doulia, se porta vers le pĂątĂ© et, comme de coutume, chacun loua la mĂ©nagĂšre. Nous avions encore un autre conteur, mais celui-lĂ  je n’aurais pas dĂ» parler de lui vers la nuit exhumait des histoires si effrayantes que les cheveux se dressaient sur la tĂȘte. C’est volontairement que je ne les ai pas mises dans ce livre ; elles pourraient faire tellement peur aux bonnes gens, qu’on craindrait comme le diable — Dieu me pardonne — l’éleveur d’abeilles. Je prĂ©fĂšre, si Dieu me donne vie jusqu’à l’annĂ©e prochaine, publier un autre livre ; alors on pourra effrayer avec les revenants et autres merveilles qui se passaient au bon vieux temps dans les pays orthodoxes. Au nombre de ces histoires, vous trouverez peut-ĂȘtre aussi les contes de l’éleveur d’abeilles lui-mĂȘme Ă  ses petits-enfants. Pourvu qu’il vous plaise de me lire et de m’écouter, j’aurai bientĂŽt, quant Ă  moi si ce n’était ma maudite paresse de chercher, rĂ©uni assez d’histoires pour faire dix volumes pareils. Je m’aperçois tout Ă  coup que j’ai oubliĂ© le principal quand vous voudrez venir me rendre visite, messieurs, prenez droit le grand chemin qui conduit Ă  la Dikagnka. J’ai prĂ©cisĂ©ment mis ce nom Ă  la premiĂšre page de ce volume pour que vous trouviez plus vite notre hameau. De la Dikagnka elle-mĂȘme, vous avez, je pense, assez entendu parler. Vous savez bien que lĂ  les maisons sont plus belles que la chaumiĂšre de quelque Ă©leveur d’abeilles. Quant au jardin public, il n’y a pas Ă  y contredire Vous n’en trouverez certes pas un pareil dans votre PĂ©tersbourg. Une fois Ă  Dikagnka, demandez au premier gamin en chemise sale que vous rencontrerez gardant les oies Et oĂč demeure l’éleveur d’abeilles Roudiy Panko ? » — HĂ© ! par lĂ , vous rĂ©pondra-t-il, en montrant la direction du doigt ; et mĂȘme, si vous le voulez, il vous conduira jusqu’au hameau. Je vous prierai seulement de ne pas trop vous croiser les mains derriĂšre le dos en faisant le fier, car chez nous, les routes ne sont pas aussi unies que devant vos palais. Ainsi, Foma Grigorievitch en venant de Dikagnka chez nous, il y a deux ans, eut l’occasion de visiter malgrĂ© lui une orniĂšre avec sa nouvelle voiture et sa jument baie, bien qu’il conduisĂźt lui-mĂȘme et qu’en outre de ses yeux, il mit encore de temps Ă  autre des yeux achetĂ©s. En revanche, une fois que vous serez notre hĂŽte, nous vous servirons des melons comme vous n’en avez jamais peut-ĂȘtre mangĂ© de voire vie. Quant au miel, je vous jure que vous n’en trouverez pas de meilleur dans les environs. Imaginez-vous que quand on apporte dans la chambre un rayon entier, il se rĂ©pand une odeur qu’il est impossible de se figurer ; et le miel est pur comme une larme ou comme ces prĂ©cieux cristaux que l’on enchĂąsse dans les pendants d’oreilles. Et quels gĂąteaux, ma vieille vous fera manger ! quels gĂąteaux, si vous saviez seulement !
 Du sucre ! c’est vraiment du sucre ! Et le beurre ! il fond sur les lĂšvres quand on commence Ă  le manger ! Quand on pense, pourtant, combien ces femmes sont habiles ! Avez-vous jamais bu du poirĂ©, messieurs ? ou de l’eau-de-vie cuite avec des raisins secs et des pruneaux ? Ou encore, vous est-il arrivĂ© parfois de manger de la bouillie au lait ? Oh ! petit Dieu ! quels mets il y a dans le monde !
 Quand on se met Ă  manger, c’est Ă  n’en plus quitter ! c’est une jouissance indescriptible ! Ainsi, l’annĂ©e derniĂšre
 voyons, cependant, je finis par trop bavarder !
 Venez seulement, venez vite ! et on vous fera manger Ă  en parler Ă  tous ceux que vous rencontrerez. Éleveur d’abeilles, Roudiy Panko VEILLÉESDE L’UKRAINE CHAPITRE PREMIER Quel dĂ©lire ! quelle splendeur qu’un jour d’étĂ© dans la Petite-Russie ! De quelle chaleur languissante sont chargĂ©es les heures quand midi Ă©clate silencieux et brĂ»lant, et que l’OcĂ©an bleu, infini, Ă©tendu en voĂ»te ardente sur la terre, semble dormir tout noyĂ© de voluptĂ© en enlaçant et en Ă©treignant la bien-aimĂ©e dans ses bras Ă©thĂ©rĂ©s. Pas un nuage au ciel ; dans les champs, pas une parole. Tout semble mort. En haut, seulement, dans la profondeur du ciel, frĂ©mit l’alouette ; et sa chanson d’argent roule sur les marches aĂ©riennes jusqu’à la terre amoureuse. Par instant, le cri de la mouette ou la voix sonore de la caille, rĂ©sonne dans la steppe. Paresseux et sans pensĂ©e, comme vaguant sans but, s’élĂšvent les chĂȘnes ombrageux. Et le jet aveuglant des rayons solaires embrase pittoresquement des masses entiĂšres de feuillages en enveloppant les autres d’une ombre noire comme la nuit, sur laquelle un vent violent fait çà et lĂ  scintiller de l’or. L’émeraude, la topaze, le saphir des insectes aĂ©riens, ruissellent sur les jardins bigarrĂ©s ombragĂ©s de tournesols Ă©lancĂ©s. Les meules grises du foin et les gerbes dorĂ©es du blĂ©, s’étagent en camps dans la plaine et se dĂ©roulent Ă  l’infini. Les larges branches des cerisiers, des pruniers, des pommiers et des poiriers, plient sous le poids des fruits. Le ciel se reflĂšte dans la riviĂšre comme dans un miroir au cadre vert et Ă©levé  De quelle voluptĂ© et de quelle langueur dĂ©borde l’étĂ© de la Petite-Russie ! C’est de cette splendeur que brillait une des chaudes journĂ©es du mois d’aoĂ»t dix-huit cent
 dix-huit cent
 oui, il y a une trentaine d’annĂ©es, lorsque, sur une longueur de plus de dix verstes, la route conduisant au village de Sorotchinetz grouillait de la foule accourue Ă  la foire de tous les environs et des hameaux les plus lointains. DĂšs le matin, s’allongeait la foule ininterrompue de Tchoumaks[9], avec leurs voitures de sel et de poisson. Des montagnes de poteries enterrĂ©es sous le foin se mouvaient lentement, comme ennuyĂ©es de leur obscure prison. Çà et lĂ , seulement quelques terrines ou soupiĂšres aux couleurs Ă©clatantes se montraient vaniteusement au sommet de la charrette surchargĂ©e et provoquaient les regards attendris des adorateurs du confort. De nombreux passants contemplaient d’un Ɠil d’envie le potier de haute taille, propriĂ©taire de ces richesses, lequel, d’un pas lent, marchait derriĂšre ses marchandises, enveloppant soigneusement le dandysme et la coquetterie de ses vases dans l’humble foin. Loin des autres, se traĂźnait une charrette tirĂ©e par des bƓufs fatiguĂ©s, et remplie de sacs de chanvre, de toile et de divers objets de mĂ©nage. DerriĂšre venait le propriĂ©taire vĂȘtu d’une chemise de toile bien blanche et d’une culotte de toile sale. D’une main paresseuse, il essuyait la sueur qui coulait en pluie de son visage basanĂ© et dĂ©gouttait de ses longues moustaches poudrĂ©es par ce perruquier impitoyable qui vient sans qu’on l’appelle, s’emparant Ă©galement des plus belles et des plus laides, et poudrant par force, depuis des milliers d’annĂ©es, toute l’espĂšce humaine. À ses cĂŽtĂ©s, marchait attachĂ©e Ă  la charrette une jument dont l’aspect timide trahissait un Ăąge plus qu’avancĂ©. Beaucoup et surtout les jeunes gens portaient la main Ă  leur bonnet en croisant le moujik. Ce n’étaient cependant ni sa moustache grise ni sa dĂ©marche imposante qui lui valaient ces saluts. Il suffisait de lever la tĂȘte pour en dĂ©couvrir la cause. Sur la charrette, Ă©tait assise son enfant, une jolie fille au visage arrondi, aux sourcils noirs et bien arquĂ©s surmontant des yeux brun-clair, aux lĂšvres roses et souriantes, la tĂȘte ornĂ©e de rubans rouges et bleus qui, avec ses longues nattes, un bouquet de fleurs des champs et une riche couronne, formaient le plus ravissant tableau. Tout semblait l’intĂ©resser ; tout lui Ă©tait Ă©trange et neuf
 et ses beaux yeux allaient sans cesse d’un objet Ă  l’autre. Comment ne pas se distraire ! À la foire pour la premiĂšre fois ! Une jeune fille de dix-huit ans et Ă  la foire pour la premiĂšre fois ! Mais aucun des passants ne pouvait se douter du mal qu’elle avait eu Ă  persuader son pĂšre de la prendre avec lui, non pas que, personnellement, il ne l’eĂ»t fait volontiers, mais il avait Ă  compter avec la mĂ©chante marĂątre qui avait su le brider et le conduisait aussi facilement qu’il conduisait lui-mĂȘme la vieille jument qu’on allait vendre aujourd’hui pour prix de ses longs services. La criarde Ă©pouse
 mais nous avons oubliĂ© qu’elle est assise, elle aussi, au haut de la charrette, dans une superbe camisole de laine verte, piquĂ©e, comme la fourrure de la martre, de petites queues, mais rouges ; avec une riche jupe bigarrĂ©e comme un Ă©chiquier et un bonnet d’indienne de couleur, qui donnait un certain air d’importance Ă  son visage rouge et plein d’aspect si rĂ©barbatif que chacun se hĂątait de reporter son regard inquiet sur le gai visage de la jeune fille. Aux yeux de nos voyageurs, Psiol[10] commençait Ă  poindre. De loin venait une fraĂźcheur d’autant plus sensible que la chaleur avait Ă©tĂ© plus lourde et plus accablante. À travers le feuillage vert-clair des peupliers et des bouleaux, nĂ©gligemment semĂ©s dans la prairie, apparaissaient des plaques de lumiĂšre froide ; et la belle riviĂšre dĂ©couvrit la splendeur de sa poitrine d’argent sur laquelle se rĂ©pandait richement la verte chevelure des arbres. Fantasque comme une jolie femme, Ă  l’heure enivrante oĂč, devant le miroir jaloux de son front altier, de ses Ă©paules rosĂ©es et de sa gorge de marbre, ombragĂ©e par une boucle sombre tombĂ©e de sa tĂȘte blonde, elle jette avec mĂ©pris ses parures pour les remplacer par d’autres et ne connaĂźt pas de fin Ă  ses caprices, ses eaux presque chaque annĂ©e changent leurs cours, choisissent une nouvelle voie et s’entourent de paysages nouveaux et divers. Les rangĂ©es de moulins soulevaient sur leurs lourdes roues de larges nappes qu’elles rejetaient avec force en les brisant en pluie et en emplissant les environs de poussiĂšre humide et de bruit. La charrette, avec les voyageurs que nous connaissons, roulait en ce moment vers le pont, et, la riviĂšre, dans toute sa majestueuse beautĂ©, s’étendait devant eux comme une seule glace. Le ciel, les forĂȘts vertes et bleues, les hommes, les voitures chargĂ©es de poteries, les moulins, tout se renverse, surgit et marche les pieds en l’air sans tomber dans la splendide profondeur bleue. Notre belle devint songeuse Ă  ce magnifique spectacle et oublia mĂȘme de faire craquer sous sa dent les graines de tournesol qu’elle Ă©tait occupĂ©e Ă  grignoter depuis le dĂ©part, lorsque tout Ă  coup, les mots Ah ! la jolie fille ! » frappĂšrent ses oreilles. Elle tourna la tĂȘte et aperçut sur le pont une foule de jeunes gens dont l’un, mieux vĂȘtu que les autres, en svitka[11] blanche et en bonnet gris d’Astrakan, les mains sur les hanches, regardait hardiment les passants. La belle ne put faire autrement que de remarquer son visage basanĂ© mais respirant la sympathie et ses regards brĂ»lants qui semblaient vouloir la transpercer. Elle baissa les yeux Ă  la pensĂ©e que, peut-ĂȘtre, l’exclamation entondue lui appartenait. — Une riche fille ! continua le jeune homme Ă  la svitka blanche, sans la quitter de l’Ɠil. Je donnerais bien tout ce que je possĂšde pour l’embrasser, mais c’est le diable qui est aussi derriĂšre elle. Des rires Ă©clatĂšrent de tous cĂŽtĂ©s. Mais la compagne chamarrĂ©e de l’époux qui s’avançait Ă  pas lents, ne goĂ»ta pas le compliment. Ses joues rouges s’empourprĂšrent et un crĂ©pitement d’épithĂštes choisies roula en averse sur la tĂȘte des joyeux gars. — Puisses-tu Ă©touffer, propre Ă  rien ! Puisse un vase tomber sur la tĂȘte de ton pĂšre ! Qu’il se rompe le cou sur la glace, l’antichrist maudit ! Et que, dans l’autre monde, le diable lui roussisse la barbe ! — Voyez-vous l’insulteuse ! fit le jeune homme en Ă©carquillant les yeux, comme stupĂ©fait d’une pareille explosion de compliments inattendus. Comment la langue de cette sorciĂšre hors d’ñge ne se blesse-t-elle pas Ă  articuler de semblables mots ! — Hors d’ñge[12] ! saisit au vol la mĂ»re personne. L’impudent ! Va donc d’abord te dĂ©barbouiller, moricaud. Je n’ai pas connu ta mĂšre, mais je suis certaine que c’est une pas grand’chose ; ton pĂšre aussi est un pas grand’chose. Hors d’ñge ! parce qu’il a encore du lait au bec ! La charrette, en ce moment, sortait du pont, et les derniĂšres paroles se perdirent dans l’air. Mais le jeune homme ne voulut pas en rester lĂ . Sans plus rĂ©flĂ©chir, il saisit une motte de boue et la lança
 Le coup Ă©tait mieux dirigĂ© qu’on ne pouvait le supposer tout le bonnet neuf d’indienne se trouva couvert de boue ; et les rires des joyeux compagnons de reprendre avec une force nouvelle. L’obĂšse coquette frĂ©mit de colĂšre ; mais la charrette Ă©tait alors assez loin et elle tourna sa vengeance contre sa belle-fille innocente et son lent Ă©poux, lequel, habituĂ© de longue date Ă  des incidents de ce genre, gardait un silence obstinĂ© et Ă©coutait avec le plus grand sang-froid la sortie emportĂ©e de son Ă©pouse en fureur. MalgrĂ© cela, la langue infatigable crĂ©pitait et ne s’arrĂȘta qu’à leur entrĂ©e dans le faubourg, lorsqu’ils arrivĂšrent chez leur vieil ami et compĂšre le cosaque Tsyboulia. Cette entrevue entre compĂšres qui ne s’étaient pas rencontrĂ©s depuis longtemps, fit oublier momentanĂ©ment le fĂącheux Ă©vĂ©nement en forçant nos voyageurs Ă  s’entretenir de la foire et Ă  reposer quelque peu aprĂšs une longue route. CHAPITRE II Peut-ĂȘtre vous est-il arrivĂ© d’entendre une cataracte lointaine quand les environs troublĂ©s sont pleins de fracas et qu’un chaos de rumeurs Ă©tranges et indistinctes passe devant vous comme un tourbillon. N’est-ce pas une sensation analogue que l’on Ă©prouve, lorsque l’on est pris dans le tourbillon d’une foire au village et que les rangs serrĂ©s de la foule ne forment plus qu’un monstre sinueux qui se meut de tout son corps sur la place et dans les rues Ă©troites, criant, s’interpellant et grondant. Vacarme, jurons, mugissements, bĂȘlements, rugissements, tout se fond en un brouhaha discordant. Les bƓufs, le son, le foin, les tziganes, les poteries, les babas[13], les pains d’épices, les bonnets, tout flamboie bigarrĂ© et criard, s’agite en groupe et dĂ©file devant vos yeux. Des voix de diffĂ©rents timbres se couvrent l’une l’autre, et pas une parole ne peut ĂȘtre saisie, sauvĂ©e de ce dĂ©luge. Pas un cri ne s’articule distinctement ; on n’entend dans toute la foire que des mains de marchands frappant l’une dans l’autre, Ă  l’appui du marchĂ© conclu. Une charrette se brise, le fer rĂ©sonne ; des planches jetĂ©es Ă  terre retentissent et la tĂȘte qui nous tourne ne sait oĂč s’arrĂȘter. Notre moujik avec sa fille aux noirs sourcils s’était depuis longtemps mĂȘlĂ© Ă  la foule. Il s’approchait d’une charrette, hĂ©lait l’autre, comparait les prix, et cependant, sa pensĂ©e tournait toujours autour des dix sacs de blĂ© et de la vieille jument qu’il avait amenĂ©s pour la vente. On pouvait voir Ă  l’expression du visage de sa fille qu’il n’était rien moins qu’agrĂ©able Ă  celle-ci de se frotter aux charrettes de foin ou de blĂ©. Elle aurait voulu aller lĂ  oĂč, sous la toile des tentes, sont coquettement appendus des rubans rouges, des boucles d’oreilles, des croix d’étain et de cuivre et des piĂšces d’or pour colliers. Cependant le spectacle qu’elle avait devant les yeux ne manquait pas d’intĂ©rĂȘt. Elle prenait un intime plaisir Ă  regarder ici un tzigane bigarrĂ© et un moujik se frapper dans la main jusqu’à crier de douleur ; lĂ  un juif ivre offrir du kissel[14] Ă  une baba ; plus loin, des poissardes s’injurier et se jeter des Ă©crevisses Ă  la tĂȘte ; ailleurs encore, un Moscovite caresser d’une main sa barbe de bouc et de l’autre
 mais voilĂ  qu’elle se sent tirer par la manche brodĂ©e de sa chemise. Elle se retourne et se trouve en face du parobok Ă  la svitka blanche et aux yeux ardents. Tout son corps tressaillit, son cƓur se mit Ă  battre comme jamais il n’avait encore battu, ni sous la joie, ni sous la douleur, sensation Ă©trange et dĂ©licieuse en mĂȘme temps ; elle ne pouvait se rendre compte de ce qu’elle prouvait. — N’aie pas peur, mon petit cƓur ! n’aie pas peur, fit-il Ă  demi-voix en lui prenant la main. Je ne te dirai rien de mal ! Il se peut que tu ne me dises rien de mal, pensa la jeune fille, seulement, c’est Ă©trange. Ce doit ĂȘtre le diable. Je sais que sĂ»rement ce n’est pas bien
 et cependant je n’ai pas la force de lui reprendre ma main. » Le moujik se retourna, voulant dire quelque chose Ă  sa fille, mais le mot blĂ© » retentit alors Ă  ses cĂŽtĂ©s. Ce mot magique le fit immĂ©diatement s’approcher de deux nĂ©gociants qui parlaient haut, et, son attention fixĂ©e sur eux, rien n’était capable de la distraire. Or, voici la conversation qui s’était engagĂ©e sur le blĂ©. CHAPITRE III — Tu penses donc, pays, que notre blĂ© se vendra mal ? disait l’un dont l’extĂ©rieur dĂ©notait un petit bourgeois Ă©tranger, habitant quelque bourgade, en pantalon de coutil tachĂ© de goudron et de graisse. Le personnage auquel il s’adressait Ă©tait vĂȘtu d’une svitka bleue rapiĂ©cĂ©e en diffĂ©rents endroits, et il avait une bosse au front. — Il ne s’agit pas de penser ! je suis prĂȘt Ă  me laisser passer une corde autour du cou et Ă  me balancer Ă  cet arbre comme une saucisse de NoĂ«l au plafond de la chambre, si nous vendons une seule mesure de blĂ©. — Qu’est-ce que tu me contes, pays ? Il n’y a pas sur le marchĂ© un grain de blĂ© en dehors de celui que nous avons apportĂ©. Dites tout ce que vous voudrez, pensait le pĂšre de notre belle, qui ne perdait pas une parole de la conversation des deux marchands ; cela ne m’empĂȘchera pas d’avoir dix sacs en rĂ©serve. » — Mais c’est prĂ©cisĂ©ment oĂč le diable s’en mĂȘle, qu’il n’y a pas plus Ă  tabler lĂ -dessus que sur un Moscovite affamĂ©, reprenait d’un air significatif l’homme Ă  la bosse au front. — Quel diable ? demanda l’homme au pantalon de coutil. — As-tu entendu ce que l’on dit dans la foule ? continua le front bombĂ© en regardant de cĂŽtĂ© son interlocuteur de ses yeux mornes. — Eh bien ? — Eh bien ! Le commissaire, — puisse-t-il ne jamais tremper sa moustache dans l’eau-de-vie de prunes — le commissaire nous a assignĂ© pour la foire une place si maudite que nous pouvons crever, nous ne vendrons pas un seul grain. Vois-tu ce vieux hangar en ruine lĂ -bas, lĂ -bas, prĂšs de la montagne ici, la curiositĂ© du pĂšre de notre belle le fit se rapprocher encore, et il devint tout oreilles, c’est dans ce hangar que les diables prennent leurs Ă©bats, et pas une seule foire ne s’est terminĂ©e sans malheur. Hier encore, le scribe passait par lĂ , et, Ă  la lucarne, se montra un groin de porc, grognant si terriblement qu’un frisson lui passa dans tout le corps. On s’attend d’un instant Ă  l’autre Ă  voir apparaĂźtre de nouveau la svitka rouge. — Qu’est-ce que cette svitka rouge ? À ce moment les cheveux de notre auditeur attentif se dressĂšrent sur sa tĂȘte. Il regarda avec terreur derriĂšre lui et aperçut
 sa fille et le parobok tranquillement enlacĂ©s, devisant d’amour dans l’oubli le plus complet de toutes les svitkas du monde. Ce spectacle dissipa sa terreur et le ramena Ă  son insouciance habituelle. — Eh ! eh ! pays, tu me parais aller bien vite en embrassades. Moi, ce n’est que le quatriĂšme jour aprĂšs la noce que j’ai appris Ă  embrasser ma Khveska et encore, grĂące Ă  mon compĂšre, qui, en sa qualitĂ© de garçon d’honneur, me mit sur la voie. Le jeune homme comprit immĂ©diatement que le pĂšre de sa bien-aimĂ©e n’était pas trĂšs dĂ©sagrĂ©able ; et il se prit Ă  combiner un plan pour le mettre dans son jeu. — Toi, mon bon, tu ne me connais probablement pas ; mais moi, je t’ai reconnu tout de suite. — C’est possible que tu m’aies reconnu. — Si tu veux, je te dirai et ton nom et ton prĂ©nom et tout ce qui te concerne. Tu t’appelles Solopi Tcherevik. — C’est bien cela, Solopi Tcherevik. — Et regarde-moi bien, peut-ĂȘtre me reconnaĂźtras-tu ? — Non, je ne te connais pas ; et cela soit dit sans te fĂącher. Dans ma longue vie, j’ai tant vu de museaux divers, que ce serait le diable de me souvenir de tous
 — C’est dommage que tu ne te rappelles pas du fils de Holopoupenko ? — Tu serais donc le fils d’Okhrimo ? — Et qui le serait ? Ă  moins que ce ne soit le Domovoi[15]. Sur quoi, les deux amis se dĂ©couvrirent et l’embrassade commença. Cependant notre fils Holopoupenko, sans perdre de temps, se hĂąta de couper court Ă  cette dĂ©monstration. — Eh bien ! Solopi, comme tu le vois, moi et ta fille nous nous aimons au point de passer l’éternitĂ© ensemble. — Eh bien ! Paraska, fit Tcherevik en s’adressant avec un sourire Ă  sa fille, — peut-ĂȘtre, en effet
 pour que dĂ©jà
 comme on dit
 ensemble
 afin qu’on paisse la mĂȘme herbe. Eh bien ! tapons lĂ , et allons, beau fils frais Ă©lu, arroser le contrat ! Et tous les trois se trouvĂšrent bientĂŽt rĂ©unis dans une derniĂšre buvette, sous la tente, chez la Juive, au milieu de tout une flotte de bouteilles et de flacons de toutes façons et de toutes tailles. — Eh ! le luron ! Pour cela je t’aime, disait Tcherevik, quelque peu Ă©mĂ©chĂ©, en voyant la façon dont son beau fils frais Ă©lu se versait prĂšs d’un demi-litre d’eau-de-vie, l’avalait d’un trait sans sourciller et brisait sur la table le vase vide. Qu’en dis-tu ? Paraska. Quel fiancĂ© je t’ai choisi ! regarde ! regarde ! Comme il lampe gaillardement. Et, tout gai et en titubant, il s’achemina avec elle vers sa charrette, pendant que notre parobok se rendait aux boutiques occupĂ©es par les marchands de Gadiatch et de Mirgorod, les deux cĂ©lĂšbres villes du gouvernement de Pullava, pour y choisir une des plus belles pipes en bois, richement montĂ©e sur cuivre, ainsi qu’un foulard Ă  fleurs sur fond rouge et un bonnet d’Astrakan, cadeaux de noce au beau-pĂšre et aux autres, ainsi que le voulait la coutume. CHAPITRE IV — Eh bien ! femme ! j’ai trouvĂ© Ă  la fille un fiancĂ©. — C’est ce qui peut s’appeler bien choisir son moment pour chercher des fiancĂ©s ! ImbĂ©cile ! imbĂ©cile ! tu ne changeras donc jamais ? OĂč as-tu vu, oĂč as-tu entendu que des gens sensĂ©s courent Ă  cette heure aprĂšs des fiancĂ©s ? Tu aurais mieux fait de t’occuper de vendre notre blĂ©. Ton fiancĂ©, lui aussi, doit ĂȘtre quelque chose de bien. Le plus gueux, sans doute, de tous les va-nu-pieds. — Quelle erreur ; si tu voyais le jeune homme ! Rien que sa svitka vaut plus que ta camisole verte et que tes bottes rouges ; et comme il siffle bien l’eau-de-vie ! Que le diable m’emporte et toi avec, si de ma vie, j’ai vu un parobok avaler comme lui un demi-litre d’un trait sans sourciller ! — C’est cela, un ivrogne doublĂ© d’un vagabond, voilĂ  ce qu’il lui faut. Je gagerais que c’est le mĂȘme vaurien qui nous a pris Ă  partie sur le pont. Quel dommage qu’il ne me soit pas encore tombĂ© sous la main ! Je vous l’aurais arrangĂ© ! — Et qu’importe ! Khivria, si c’était lui ? Pourquoi serait-ce un vaurien ? — Pourquoi ce serait un vaurien ! oh ! tĂȘte sans cervelle ! Entendez-vous ? Pourquoi ce serait un vaurien ? Oh avais-tu donc tes yeux d’imbĂ©cile lorsque nous passions prĂšs du moulin, lĂ  devant lui, sous son nez sali de tabac ? on dĂ©shonorerait ta femme que cela te laisserait indiffĂ©rent. — Tu auras beau dire, je ne vois pas ce qu’on pourrait lui reprocher. C’est un garçon de valeur ; serait-ce parce qu’il a un moment couvert de fumier ton museau ? — Eh ! eh ! voyez-vous ! Tu ne me laisses pas placer un mot. Qu’est-ce que cela veut dire ? Quand cela t’est-il jamais arrivĂ© ? Tu as dĂ©jĂ , sans doute, pris le temps de licher alors que tu n’as encore rien vendu ? Notre Tcherevik remarqua en effet lui-mĂȘme qu’il avait trop parlĂ©, et il se hĂąta de cacher sa tĂȘte dans ses mains, persuadĂ© que son irascible compagne ne tarderait pas Ă  planter dans ses cheveux ses griffes conjugales. Diable ! le mariage est flambĂ©, pensait-il en esquivant l’épouse qui marchait vers lui ; il faudra refuser un bon garçon et pour rien ! Seigneur Dieu ! Pourquoi une pareille plaie sur nous autres pĂ©cheurs ? Il y avait dĂ©jĂ  assez de vilaines choses dans ce monde ; et tu nous as encore encombrĂ©s de femmes ! » CHAPITRE V Le jeune homme Ă  la svitka blanche, assis prĂšs de sa charrette, regardait distraitement la foule qui bourdonnait sourdemont autour de lui. Le soleil fatiguĂ© quittait l’horizon aprĂšs avoir brĂ»lĂ© son midi et son matin. Le jour s’éteignait dans le charme et dans l’éclat de la pourpre. Le sommet blanc des tentes brillait d’une clartĂ© aveuglante sous les rayons d’un feu rose Ă  peine perceptible. Les vitres des chĂąssis empilĂ©s flambaient sur les tables des cabaretiĂšres ; bouteilles et verres Ă©taient transformĂ©s en autant de flammes. Des montagnes de melons, de pastĂšques et de citrouilles semblaient moulĂ©es en or et en cuivre bruni. Le bruit des conversations devenait sensiblement plus rare et plus sourd. Les langues fatiguĂ©es des marchands, des moujiks et de tziganes se faisaient plus paresseuses et plus lentes. Çà et lĂ , des feux commençaient Ă  s’allumer et le fumet odorant des galouschki[16] se rĂ©pandait dans les rues calmĂ©es. — À quoi songes-tu si tristement Hirtsko[17], s’écria un Tzigane de haute taille et hĂąlĂ© par le soleil, en frappant sur l’épaule de notre jeune homme. Voyons ! me laisses-tu tes bƓufs pour vingt ? — Tu n’as de pensĂ©e que pour les bƓufs ! toujours les bƓufs. Votre race ne vit que pour l’argent monnayer, filouter les honnĂȘtes gens. — Fi ! que Diable ! Te voilĂ  donc pris bien sĂ©rieusement ! serait-ce le dĂ©pit de t’ĂȘtre embarrassĂ©e d’une fiancĂ©e ? — Non, ce n’est pas dans ma nature je tiens ma parole ; quand je fais quelque chose, c’est pour toujours, mais c’est ce vieux brigand de Tcherevik qui n’a pas de conscience pour un demi-kopek ; il a dit Oui », et maintenant il se reprend. On ne peut guĂšre, d’ailleurs, lui en vouloir ; c’est une bĂ»che et rien de plus, ce sont lĂ  les tours de la vieille sorciĂšre que nous avons, avec les amis, si bien arrangĂ©e aujourd’hui sur le pont. Ah ! si j’étais Tzar ou grand seigneur, je commencerais par faire pendre tous ces imbĂ©ciles qui se laissent brider par les femmes
 — Me laisses-tu les bƓufs pour vingt si nous forçons Tcherevik Ă  nous rendre Paraska ? Hirtsko le considĂ©ra avec Ă©tonnement. Les traits basanĂ©s du Tzigane exprimaient quelque chose de mĂ©chant, de rusĂ©, de bas et de hautain en mĂȘme temps ; il suffisait d’un regard pour se convaincre que, dans cette Ăąme Ă©trange, bouillonnaient de grandes qualitĂ©s, mais de celles qui n’ont sur la terre qu’une seule rĂ©compense le gibet. Une bouche disparaissait presque entre le nez et le menton, pointue et toujours animĂ©e d’un mauvais sourire ; des yeux petits mais vifs comme le feu ; un visage sillonnĂ© de l’éclair des projets et des combinaisons sans cesse modifiĂ©s. Tout cela semblait comme exiger un costume aussi particulier et aussi extraordinaire que celui qu’il portait effectivement. Un cafetan brun-noir que le moindre attouchement paraissait devoir faire tomber en poussiĂšre ; de longs cheveux noirs tombant en broussailles sur ses Ă©paules ; des souliers emboĂźtant des pieds nus et brĂ»lĂ©s ; tout cela semblait comme soudĂ© Ă  lui et faire partie de son ĂȘtre. — Ce n’est pas pour vingt, mais pour quinze que tu les auras si tu ne mens pas, rĂ©pondit le jeune homme, sans le quitter de son regard pĂ©nĂ©trant. — Pour quinze, c’est entendu ! mais ne pas oublier, pour quinze. Et voici cinq roubles d’arrhes. — Mais si tu m’as menti ! — Si je mens, Ă  toi les arrhees. — C’est entendu. Allons ! topons. — Allons ! CHAPITRE VI — Par ici, Aphanasi Ivanovitch. Il y a une haie. Levez le jarret, mais ne craignez rien. Mon imbĂ©cile est parti pour toute la nuit avec le compĂšre pour veiller sur les charrettes, de peur que les Moscovites ne chipent quelque chose. C’est ainsi que la terrible compagne de Tcherevik encourageait d’un ton affable le popovitch[18] qui, s’accrochant peureusement Ă  la clĂŽture, grimpa sur la haie et y resta debout, hĂ©sitant comme un long et effrayant fantĂŽme. AprĂšs avoir longtemps cherchĂ© de l’Ɠil la place oĂč sauter le plus facilement, il finit par tomber lourdement dans les hautes herbes. — Malheur ! ne vous ĂȘtes-vous pas fait de mal ? Ne vous ĂȘtes-vous pas — Dieu vous en garde — cassĂ© le cou? murmurait Khivria tout inquiĂšte. — Chut ! rien, rien, ma trĂšs chĂšre Khavronia Nikiforovna, fit le popovitch d’une voix basse et plaintive en se dressant sur ses jambes, rien que des piqĂ»res d’orties, cette plante vipĂ©rine, comme disait le dĂ©funt protopope. — Entrez donc vite dans la khata. Il n’y a personne. Et moi qui me demandais si vous n’étiez pas retenu par un furoncle ou un mal de ventre. On ne vous voit plus. Comment cela va-t-il? J’ai entendu dire que le pope, votre pĂšre, a reçu un tas de choses. — Presque rien, Khavronia Nikiforovna, mon pĂšre n’a reçu pour tout le carĂȘme que quinze sacs de blĂ©, quatre de millet, une centaine de pains au beurre et des poulets qui, bien comptĂ©s, ne dĂ©passent pas la cinquantaine. Quant aux Ɠufs, ils sont en partie gĂątĂ©s ; mais le plus prĂ©cieux de tous les dons, c’est de vous seule que je peux le tenir, Khavronia Nikiforovna, continua le popovitch, en la regardant tendrement et en se rapprochant d’elle. — VoilĂ , Aphanasi Ivanovitch, fit-elle, en posant sur la table divers plats et en boutonnant d’un air confus sa camisole qui s’était ouverte comme par hasard, des vareniki[19], des galouchetchki[20] de froment, des pampouchetchki[21], des tovtchenitchki[22]. — Tout cela, je gage, est sorti des plus habiles mains de toutes les filles d’Ève, dit le popovitch en entamant les tovtchenitchki et en attirante Ă  lui, de l’autre main, les varenitchki. Cependant, Khavronia Nikiforovna, mon cƓur a soif d’autres choses plus douces que les pampouchetchki et tous les galouchetchki — Je ne sais rĂ©ellement plus ce que je pourrais vous offrir encore, Aphanasi Ivanovitch, rĂ©pondit la belle obĂšse en feignant de ne pas comprendre. — Mais votre amour ! mon incomparable Khavronia Nikiforovna, murmura le popovitch, tenant d’une main un varenik et, de l’autre, enlaçant la large taille de la matrone. — Dieu sait ce que vous imaginez ! Aphanasi Ivanovitch, dit Khidria en baissant pudiquement les yeux, vous allez peut-ĂȘtre encore entreprendre de m’embrasser ! — Quant Ă  cela, je vous dirai, en ce qui me concerne, reprit le popovitch, qu’au temps pour ainsi dire oĂč j’étais au sĂ©minaire je me souviens encore comme aujourd’hui
 À ce moment, des aboiements se firent entendre dans la cour et des coups furent frappĂ©s Ă  la porte cochĂšre. Khivria sortit prĂ©cipitamment et rentra toute pale. — Allons ! Aphanasi Ivanovitch, nous sommes pris ! Un tas de gens frappent Ă  la porte et il me semble avoir reconnu la voix du compĂšre. Le varenik s’arrĂȘta dans la gorge du popovitch
 ses yeux sortirent de leurs orbites, comme s’il s’était trouvĂ© en face de quelque revenant. — Vite, grimpez lĂ , criait Khivria Ă©pouvantĂ©e, en lui indiquant les planches reposant sur deux solives juste au-dessous du plafond et sous lesquelles Ă©taient entassĂ©s divers ustensiles de mĂ©nage. Le pĂ©ril donna des forces Ă  notre hĂ©ros. Revenant un peu Ă  lui, il sauta sur la partie du poĂȘle qui sert de lit, et de lĂ , avec prĂ©caution, il se hissa sur les planches, tandis que Khivria courait Ă  toutes jambes vers la porte, car les coups redoublaient, frappĂ©s avec plus de force et d’impatience. VII Un Ă©trange Ă©vĂ©nement s’était produit Ă  la foire. Le bruit courait que, quelque part, parmi les marchandises, la svitka rouge devait faire son apparition. La vieille qui vendait des boubliki[23] crut voir Satan au museau de cochon qui se penchait sans cesse sur les charrettes comme s’il cherchait quelque chose. Cela se rĂ©pandit rapidement dans tous les coins du campement silencieux; et tout le monde eĂ»t considĂ©rĂ© comme un crime de ne pas y ajouter foi, bien que la marchande de boubliki, dont l’étalage mobile attenait Ă  la tente du cabaretier, se fĂ»t livrĂ©e toute la journĂ©e Ă  des saluts sans objet et dessinĂąt de ses jambes des courbes empruntĂ©es Ă  ses gĂąteaux. À cela, s’ajoutaient encore les histoires grossies de bouche Ă  bouche du prodige vu par le scribe dans le hangar en ruine, de telle sorte qu’avec la nuit, chacun se serrait plus prĂšs de son voisin. La tranquillitĂ© disparut; la peur empĂȘchait les yeux de se fermer ; et ceux qui n’étaient pas des plus braves et qui purent se procurer un coin dans une izba[24], s’y rĂ©fugiĂšrent. Au nombre de ces derniers, se trouvaient Tcherevik avec son compĂšre et sa fille ; et ce sont eux, qui renforcĂ©s de quelques camarades, leur ayant demandĂ© asile, ont causĂ© le tapage qui a si fort effrayĂ© notre Khivria. Le compĂšre Ă©tait dĂ©jĂ  quelque peu Ă©mĂ©chĂ©. Cela rĂ©sultait de ce qu’il dut faire deux fois avec sa charrette le tour de la cour avant de trouver la porte de sa khata. Les hĂŽtes, eux aussi, Ă©taient d’humeur joyeuse et, sans plus de façon, ils pĂ©nĂ©trĂšrent dans la chambre avec le maĂźtre. L’épouse de notre Tcherevik Ă©tait assise comme sur des aiguilles quand ils se mirent Ă  fureter dans tous les coins. — Eh quoi ! commĂšre, s’écria le compĂšre en entrant, la fiĂšvre te fait toujours trembler ! — Oui, je ne me sens pas bien, rĂ©pondit Khivria en jetant un regard inquiet sur les planches au-dessous du plafond. — Voyons, femme, va-t’en me chercher la bouteille dans la charrette, dit le compĂšre Ă  son Ă©pouse qui le suivait. Nous la viderons avec ces braves amis ; les maudites femmes nous ayant fait une peur telle qu’il est presque honteux de l’avouer. Car, au fond, frĂšres, nous nous sommes rĂ©fugiĂ©s ici inutilement, continua-t-il, en vidant Ă  petites gorgĂ©es la cruche de terre. Je suis prĂȘt Ă  percer mon neuf, que les femmes se sont tout simplement moquĂ©es de nous. En admettant mĂȘme que ce fĂ»t le diable, que nous importe le diable ? Crachez-lui Ă  la figure ! Qu’il s’avise Ă  l’instant mĂȘme de se dresser ici devant moi ! et que je ne sois qu’un fils de chien si je ne lui fais pas la nique. — Pourquoi, alors, es-tu devenu si pĂąle ? s’écria l’un des Ă©trangers qui dominait les autres de la tĂȘte et posait pour le brave. — Moi ! Dieu vous patafiole ! vous avez rĂȘvĂ©. Les hĂŽtes ne purent rĂ©primer un sourire auquel s’associa d’un air de satisfaction le bravache qui avait pris la parole. — Comment pourrait-il parler, fit observer un autre, alors que ses joues flamment comme le coquelicot ? Ce n’est plus un oignon mais une betterave, ou mieux encore la svitka rouge qui a tant Ă©pouvantĂ© les gens. La bouteille fit le tour de la table et aug-menta encore la gaĂźtĂ© des convives. Notre Tcherevik, que la svitka rouge n’avait pas cessĂ© de torturer, ne laissant pas une seconde de rĂ©pit Ă  son esprit curieux, s’approcha alors du compĂšre. — Dis, par grĂące, compĂšre, J’ai beau questionner, je ne puis connaĂźtre l’histoire de cette satanĂ©e svitka. — Eh ! compĂšre, ces choses-lĂ  ne se racontent pas la nuit, mais pour te faire plaisir ainsi qu’aux braves amis qui m’ont l’air d’y tenir autant que toi, soit
 Écoutez. Il se gratta l’épaule, s’essuya la bouche avec le pan de son cafetan, appuya la main sur la table et commença — Une fois, pour quel crime, c’est ce que j’ignore, tout ce que je sais c’est qu’un diable fut chassĂ© de l’enfer. — Comment cela, compĂšre, interrompit Tcherevik, est-il possible qu’on chasse un diable de l’enfer ? — Qu’y pourrais-je, compĂšre ? On l’a chassĂ© et voilĂ  tout, comme un moujik chasse un chien de sa khata. Peut-ĂȘtre s’était-il avisĂ© de commettre quelque bonne action, et, alors, on lui a montrĂ© la porte. Or, ce pauvre diable s’ennuyait hors de l’enfer, mais s’ennuyait Ă  se pendre. Que faire ? Il se mit alors Ă  boire de dĂ©sespoir, Il se nicha dans ce mĂȘme hangar que tu as vu en ruines prĂšs de la montagne, et auprĂšs duquel aucun honnĂȘte homme ne peut plus dĂ©sormais passer, sans ĂȘtre prĂ©alablement armĂ© du signe de croix. Et ce diable est un homme d’un dissolu Ă  rendre des points aux parobki. Du matin au soir, il ne dĂ©marre pas du cabaret. À ce moment, le grave Tcherevik interrompit de nouveau notre conteur. — Que dis-tu lĂ , compĂšre ? Comment est-il possible qu’on ait laissĂ© entrer le diable au cabaret ? Il a bien, grĂące Ă  Dieu, des griffes aux pattes et de petites cornes sur la tĂȘte. — Sans doute ! mais il s’était muni de bonnet et de mitaines ; impossible, par suite, de le reconnaĂźtre. Il noçait, noçait
 Enfin il avait bu tout ce qu’il possĂ©dait. Le cabaretier eut beau lui faire longtemps crĂ©dit, finalement, il dut cesser. Le diable fut alors forcĂ© de changer sa svitka rouge pour un tiers de sa valeur au juif qui tenait le cabaret de la foire de Sorotchinetz. Il la lui engagea et lui dit Prends garde, juif, je viendrai chercher la svitka dans un an jour pour jour. Conserve-la. » Et il disparut comme s’il fĂ»t tombĂ© dans l’eau. Le juif examina attentivement la svitka. Le drap en Ă©tait de telle qualitĂ© que mĂȘme Ă  Miregorod on n’aurait pu en trouver de semblable. Le rouge flambait comme le feu ; impossible une fois vu d’en dĂ©tacher ses yeux. Le juif se fatigua d’attendre l’échĂ©ance. Il se gratta l’oreille[25], et il en tira de quelque seigneur de passage jusqu’à cinq piĂšces d’or. Mais voilĂ  qu’un soir un homme entre. Eh bien ! juif, rends-moi ma svitka. » Le juif ne le reconnut pas d’abord, mais, aprĂšs l’avoir remis, il feignit de ne l’avoir jamais vu. — Quelle svitka ? je n’ai pas de svitka. » L’autre s’en alla. Seulement, vers le soir, quand le juif ayant fermĂ© sa boutique et aprĂšs avoir comptĂ© son argent, se mit, un drap sur la tĂȘte, Ă  prier Dieu Ă  la façon juive, un frĂŽlement s’entendit ! — Le juif regarde ! Ă  toutes les fenĂȘtres apparaissaient des museaux de cochon
 À ces mots, prĂ©cisĂ©ment, on entendit un bruit indistinct qui ressemblait fort au grognement du porc. Tous pĂąlirent
 La sueur perla sur le visage du conteur. — Quoi ? demanda Tcherevik, effrayĂ©. — Rien ! rĂ©pondit le compĂšre tremblant de tout son corps. — Rien ! fit Ă  son tour l’un des assistants. — C’est toi qui disais ?
 — Moi ! — Quoi donc ? Ă  propos ?
 — Dieu sait pourquoi tout cet Ă©moi ! il n’y a rien. Tous se mirent Ă  examiner craintivement autour d’eux et Ă  chercher dans les recoins. Khivria Ă©tait plus morte que vive. — Quelles femmes vous faites ! dit-elle Ă  haute voix. Et vous vous appelez des Cosaques et vous ĂȘtes des hommes Il faudrait vous mettre une quenouille Ă  la main. Quelqu’un peut-ĂȘtre s’est
 Dieu me pardonne
 Sous quelqu’un le banc a craquĂ© et cela a suffi pour vous affoler tous. Cette sortie fit honte Ă  nos braves et les obligea de reprendre courage. Le compĂšre but son coup et poursuivit son rĂ©cit — Le juif s’évanouit d’effroi ; mais les cochons, sur leurs longues jambes comme des Ă©chasses, pĂ©nĂ©trĂšrent par les fenĂȘtres et le firent vite revenir Ă  lui Ă  coups d’étriviĂšres et le forcĂšrent Ă  danser plus haut que cette solive. Le juif se jeta Ă  leurs pieds et avoua tout
 mais le difficile Ă©tait de retrouver la svitka. VolĂ©e au seigneur par un tzigane, elle avait Ă©tĂ© vendue Ă  une marchande. Celle-ci la porta de nouveau Ă  la foire de Sorotchinetz, mais, depuis lors, personne ne lui achetait quoi que ce soit. La marchande s’étonna, s’étonna longtemps et finit par comprendre que la faute en Ă©tait Ă  la svitka rouge. Ce n’est pas pour rien qu’en l’endossant elle se sentait toujours gĂȘnĂ©e. Sans plus de rĂ©flexion, elle la jeta au feu. — Il ne brĂ»le pas, ce satanĂ© vĂȘtement !
 HĂ© ! mais !
 c’est un cadeau du diable ! » — La marchande l’introduisit sous la charrette d’un moujik venu pour vendre son beurre. L’imbĂ©cile s’en rĂ©jouit ; seulement personne plus ne lui achetait de beurre. Hein ! ce sont des mains ennemies qui m’ont glissĂ© cette svitka ! » Il saisit sa hache et la mit en piĂšces. Mais voilĂ  que les morceaux rampent les uns vers les autres et que la svitka est de nouveau entiĂšre. Se signant alors, il assĂ©na un second coup de hache, sema les morceaux Ă  droite et Ă  gauche et s’enfuit. Depuis, chaque annĂ©e, juste Ă  l’époque de la foire, le diable au museau de cochon se promĂšne par toute la place, grognant et ramassant les morceaux de la svitka. On dit maintenant qu’il ne lui manque plus que la manche gauche. Les gens, depuis lors, se signent Ă  l’endroit ; et voilĂ  une dizaine d’annĂ©es dĂ©jĂ  que la foire ne s’y tenait plus, lorsque le malin a poussĂ© le commissaire de
 Ă  en
 La fin du mot resta sur les lĂšvres du conteur la fenĂȘtre vola en Ă©clats et, Ă  travers les vitres brisĂ©es, apparut un museau de cochon roulant de terribles yeux et ayant l’air de demander Que faites-vous ici, braves gens ? » CHAPITRE VIII La terreur cloua tout le monde dans la khata. Le compĂšre, la bouche bĂ©e, fut transformĂ© en pierre. Ses yeux jaillirent comme des projectiles. Ses doigts Ă©carquillĂ©s s’arrĂȘtĂšrent immobiles en l’air. Le brave, de haute taille, dans une Ă©pouvante impossible Ă  maĂźtriser, sauta jusqu’au plafond et frappa de sa tĂȘte contre la solive. Les planches s’écartĂšrent et le popovitch, avec tonnerre et fracas, vola par terre. — AĂŻe ! aĂŻe ! aĂŻe ! s’écria dĂ©sespĂ©rĂ©ment l’un des assistants en tombant tout terrifiĂ© sur le banc et en agitant les bras et les jambes. — Au secours ! exclamait dĂ©sespĂ©rĂ©ment un autre en se couvrant de son touloupe[26]. TirĂ© de sa pĂ©trification par ce nouvel effroi, le compĂšre se traĂźna Ă  quatre pattes, tout tremblant, sous les jupons de son Ă©pouse. Le brave de haute taille grimpa dans le four du poĂȘle malgrĂ© l’étroitesse de l’ouverture, en refermant la porte derriĂšre lui ; et Tcherevik, comme Ă©chaudĂ©, prenant un pot de fer pour son bonnet, s’en coiffant, se prĂ©cipita dehors et courut comme un fou Ă  travers les rues sans toucher presque terre. La fatigue seule l’obligea de ralentir sa course. Son cƓur battait comme une meule de moulin. La sueur l’inondait. EpuisĂ©, il Ă©tait sur le point de s’affaisser, quand, tout Ă  coup, il entendit derriĂšre lui quelqu’un Ă  sa poursuite
 La respiration lui manqua. — Le Diable ! Le Diable ! criait-il hors de lui, en faisant appel Ă  toutes ses forces, et, un moment aprĂšs, il tomba sans connaissance. — Le Diable ! Le Diable ! criait-on derriĂšre lui ; et tout ce qu’il put sentir encore c’est que quelque chose s’abattit sur lui. Le vide se fit alors complĂštement dans son cerveau et, comme l’hĂŽte terrible de l’étroite biĂšre », il resta muet et immobile au milieu de la route. CHAPITRE IX — Entends-tu, Vlas ? disait en se soulevant au milieu de la nuit, un de ceux qui dormaient dans la rue. Quelqu’un, tout prĂšs d’ici a appelĂ© le diable. — Que m’importe ! grogna en s’étirant un tzigane couchĂ© Ă  ses cĂŽtĂ©s, il pourrait aussi bien appeler tous ses parents. — Mais il a criĂ© comme si on l’étouffait ! — De quoi n’est pas capable un homme pris de sommeil ? — Comme tu voudras, mais il faut aller voir. Bats donc le briquet. L’autre tzigane, en maugrĂ©ant, se leva sur ses jambes, fit jaillir Ă  doux reprises une Ă©tincelle qui passa sur lui comme un Ă©clair, et, aprĂšs avoir soufflĂ© sur l’amadou, se mit en marche, un kaganetz[27] Ă  la main. — Halte ! il y a quelque chose Ă  terre ; Ă©claire par ici. D’autres personnes s’étaient jointes Ă  eux. — Qu’est-ce, Vlas ? — On dirait deux hommes ; l’un dessus et l’autre dessous. Lequel des deux est le diable ? c’est ce que je ne puis pas reconnaĂźtre. — Et qui est dessus ? — Une baba femme. — Alors, c’est ça qui est le diable. Un Ă©clat de rire gĂ©nĂ©ral rĂ©veilla toute la rue. — Une baba grimpĂ©e sur un homme ! Allons, cette baba doit s’entendre en monture ! disait quelqu’un dans la foule. — Regardez, frĂšres ! — fit un autre en ramassant un fragment du pot de fer dont une moitiĂ© seulement restait sur la tĂȘte de Tcheverik, — de quel bonnet ce brave homme s’est coiffĂ© ! Le bruit et les rires qui augmentaient, finirent par rappeler Ă  la vie nos deux morts, Solopi et son Ă©pouse, pleins encore de la frayeur passĂ©e et regardant avec terreur, de leurs yeux fixes, les visages basanĂ©s des tziganes. À la lumiĂšre fausse et tremblante des kaganetz, ceux-ci ressemblaient Ă  une bande hideuse de gnomes enveloppĂ©s d’une pesante vapeur souterraine dans les tĂ©nĂšbres d’une nuit sans rĂ©veil. CHAPITRE X La fraĂźcheur du matin soufflait sur les habitants rĂ©veillĂ©s de Sorotchinetz. Des bouffĂ©es de fumĂ©e s’envolaient de toutes les cheminĂ©es Ă  la rencontre du soleil levant. La foire se ranima. Les moutons se mirent Ă  bĂȘler, les chevaux Ă  hennir et, de nouveau, les cris des oies et des marchandes emplirent tout le campement ; les racontars effrayants sur la svitka rouge, qui avaient tant Ă©pouvantĂ© le monde dans les heures mystĂ©rieuses de la nuit, s’évanouirent avec l’apparition du matin. En bĂąillant et en s’étirant, Solopi Tcherevik somnolait chez le compĂšre sous le hangar couvert de paille, au milieu des bƓufs, des sacs de farine et de blĂ©. Il ne paraissait nullement disposĂ© Ă  s’arracher Ă  ses rĂȘveries, lorsque, tout Ă  coup, il entendit une voix qui lui Ă©tait aussi familiĂšre que le refuge de sa paresse, le poĂȘle bĂ©ni de sa khata ou le cabaret d’une parente installĂ©e Ă  dix pas de chez lui. — Debout ! debout ! lui scandait Ă  l’oreille sa tendre Ă©pouse, en le tirant de toutes ses forces par le bras. Tcherevik, pour toute rĂ©ponse, enfla les joues et simula, de ses mains, le battement des tambours. — Idiot ! s’écria-t-elle en Ă©vitant le bras qui faillit l’atteindre au visage. Tcherevik se souleva, se frotta les yeux et regarda autour de lui. — Que le diable m’emporte, ma colombe, si ton museau ne m’a pas fait l’effet d’un tambour sur lequel je me voyais forcĂ© de battre la diane, comme un superbe Moscovite ; museau de cochon dont, comme dit le compĂšre
 — Assez, assez de sottises. DĂ©pĂȘche-toi donc d’aller vendre la jument. C’est Ă  faire rire de nous, vraiment. Être venus Ă  la foire, et n’avoir pas mĂȘme vendu une poignĂ©e de chanvre ! — Que dis-tu femme ? interrompit Solopi — mais c’est maintenant qu’on va rire. — Va, va ; on rit dĂ©jĂ  assez sans cela. — Je sais bien que je ne suis pas encore dĂ©barbouillĂ©, continua Tcherevik en bĂąillant et en se grattant le dos pour gagner du temps Ă  sa paresse, — VoilĂ  qu’il lui prend mal Ă  propos la fantaisie d’ĂȘtre propre ! Cela t’est-il jamais arrivĂ© ? voilĂ  une serviette ; essuie ton masque. Et elle saisit quelque chose roulĂ© en tas qu’elle rejeta brusquement avec terreur ; c’était la manche rouge de la svitka. — Va faire ton affaire, reprit-elle en rassemblant ses esprits et en voyant que la peur cassait les jambes de son Ă©poux et que ses dents claquaient. — J’en aurai maintenant une vente, murmura-t-il en dĂ©tachant la jument et la conduisant sur la place. Ce n’est pas sans cause qu’en mes prĂ©paratifs pour cette maudite foire, je me sentais un poids comme si quelqu’un m’avait jetĂ© sur les Ă©paules une vache crevĂ©e. Et les bƓufs qui, d’eux-mĂȘmes, se sont par deux fois retournĂ©s vers la maison ! Sans compter, si je me souviens bien, que c’est un lundi que nous nous sommes mis en route. De lĂ , tout le mal

 Et ce maudit diable qui ne veut pas se tenir tranquille ! Qu’est-ce que ça peut lui faire de porter une svitka qui n’a qu’une manche ! mais non. Il ne veut pas laisser la paix aux honnĂȘtes gens. Si j’étais un diable, moi, par exemple ce dont Dieu me garde ! est-ce que je me dĂ©mĂšnerais la nuit Ă  la recherche d’un maudit chiffon ! Ici le monologue de notre Tcherevik fut interrompu par une voix grave et criarde. Le tzigane de haute taille Ă©tait devant lui. — Qu’est-ce que tu vends ? mon brave. Le vendeur eut un silence. Il examina son interlocuteur des pieds Ă  la tĂȘte et dit d’un air tranquille, sans s’arrĂȘter et sans lĂącher la bride — Tu sais bien toi-mĂȘme ce que je vends. — Des courroies ? demanda le tzigane en regardant la bride. — Oui, des courroies, si une jument ressemble Ă  des courroies. — Mais diantre, pays, tu l’as donc nourrie avec de la paille ? — De la paille ! Et Tcherevik tira sur la bride pour faire passer devant lui la jument et convaincre de mensonge ce calomniateur effrontĂ© mais avec une vitesse extraordinaire sa main vint frapper son menton. Il regarda et que vit-il ? Dans sa main il n’a plus qu’une bride et, Ă  la bride est attaché  Ô terreur ! ses cheveux se dressent sur sa tĂȘte
 un morceau de la manche rouge de la svitka !
 Il cracha, se signa et, en agitant les bras, il s’enfuit de ce cadeau inattendu, et, plus rapide qu’un jeune homme, se perdit dans la foule. CHAPITRE XI — ArrĂȘtez-le ! arrĂȘtez-le ! criaient plusieurs jeunes gens dans le fond Ă©troit d’une rue ; et Tcherevik se sentit tout Ă  coup saisi par des mains vigoureuses. — Qu’on le garrotte ! c’est lui qui a volĂ© au brave homme sa jument ? — Que Dieu soit avec vous ! Pourquoi me garrottez-vous ? — Et c’est lui qui le demande ! Pourquoi as-tu volĂ© la jument ? — Êtes-vous fous ? jeunes gens. OĂč a-t-on vu qu’un homme puisse se voler lui-mĂȘme ? — Connu ! connu ! Pourquoi te sauvais-tu Ă  toutes jambes comme si Satan lui-mĂȘme Ă©tait Ă  tes trousses
 — On se sauverait Ă  moins quand un vĂȘtement diabolique
 — HĂ© ! mon pigeon, conte cela Ă  d’autres. Tu auras encore affaire au commissaire qui t’apprendra Ă  faire peur aux gens avec tes diableries. — ArrĂȘtez-le ! arrĂȘtez-le. Ce cri retentit de nouveau Ă  l’autre bout de la rue. Le voilĂ  ! le voilĂ , le fuyard ! Et, aux yeux de notre Tcherevik, apparut le compĂšre dans le plus piteux Ă©tat, les mains liĂ©es derriĂšre le dos et conduit par plusieurs jeunes gens. — Que de miracles il se fait ! disait l’un de ceux-ci. Si vous entendiez ce que raconte ce filou ! qu’il suffit de regarder en face pour reconnaĂźtre un voleur, quand on s’avise de lui demander pourquoi il courait comme un affolĂ©. Je fouillais, dit-il, dans ma poche pour y prendre une prise, et, au lieu de ma tabatiĂšre, j’ai retirĂ© un morceau de la diabolique svitka qui flamba soudain comme du feu
 et je m’enfuis Ă  toutes jambes. » — HĂ© ! hĂ© ! ce sont deux oiseaux du mĂȘme nid, garrottez-les ensemble. CHAPITRE XII — Peut-ĂȘtre, en effet, compĂšre, as-tu chipĂ© quelque chose ? demanda Tcherevik Ă©tendu, liĂ© Ă  son compĂšre, dans une botte de paille. — Comment ! toi aussi ? compĂšre ? Que me sĂšchent bras et jambes si jamais j’ai volĂ© quoi que ce soit, si ce n’est des vareniki Ă  la crĂšme, chez ma mĂšre, et encore n’avais-je que dix ans. — Pourquoi donc, compĂšre, un pareil calamitĂ© sur nous ? Toi encore, ce n’est rien On ne t’accuse que d’avoir volĂ© autrui ! mais qu’ai-je fait pour ĂȘtre en butte Ă  une calomnie aussi idiote m’ĂȘtre volĂ© Ă  moi-mĂšme ma propre jument ! Il Ă©tait Ă©crit, compĂšre, que nous ne devions pas avoir de chance. — Malheur Ă  nous ! pauvres orphelins. Et les deux compĂšres se mirent Ă  sangloter bruyamment. — Qu’as-tu donc Solopi ? demanda Hirtzko qui entra en ce moment — qui t’a garrottĂ© ? — Ah ! Halopoupenko ! Halopoupenko ! s’écria Solopi tout joyeux — le voilĂ , compĂšre, celui-lĂ  mĂȘme dont je t’ai parlĂ©. HĂ© ! camarade, que Dieu me tue sur place, s’il n’a pas lampĂ© devant moi une cruche presque aussi grosse que ta tĂȘte, et sans seulement sourciller. — Pourquoi donc, compĂšre, n’as-tu pas fait honneur Ă  un aussi brave parobki ? — Comme tu vois, continua Tcherevik en s’adressant a Hirtzko, Dieu m’a puni probablement parce que je suis en faute Ă  son Ă©gard. Pardonne-moi, mon brave. Pour toi, je serais prĂȘt Ă  tout faire, mais que veux-tu, c’est le diable qui est dans la ville. — Je ne te tiens pas rancune, Solopi ; si tu veux, je te dĂ©barrasserai de tes liens. Et il fit signe aux jeunes gens, et ceux-lĂ  mĂȘme qui gardaient les prisonniers s’empressĂšrent de les dĂ©lier. — En revanche, agis bien de ton cĂŽtĂ© ; marie-nous, et que l’on danse au point que pendant toute une annĂ©e les jambes nous fassent mal. — Bien ! voilĂ  qui est bien ! dit Solopi en battant des mains, et je me revois aussi gai en ce moment, que si les Moscovites m’avaient enlevĂ© ma vieille. Il n’y a plus Ă  rĂ©flĂ©chir, Ă  tort ou Ă  raison, aujourd’hui on se marie et tout est dit. — Prends bien garde, Solopi, dans une heure je serai chez toi, car on t’attend pour acheter ta jument et ton blĂ©. — Comment ! est-ce qu’on aurait retrouvĂ© la jument ? — On l’a retrouvĂ©e. Tcherevik demeurait immobile de joie en suivant des yeux Hirtzko qui s’éloignait. — Eh bien ! Hirtzko, l’affaire a-t-elle Ă©tĂ© bien menĂ©e ? demanda le tzigane de haute taille au jeune homme qui pressait le pas ; les bƓufs sont Ă  moi, maintenant ? — À toi ! Ă  toi ! CHAPITRE XIII Son joli menton dans la main, Paraska Ă©tait assise songeuse et seule dans la khata. Les rĂȘves, en grand nombre, voltigeaient autour de sa tĂȘte blonde. De temps Ă  autre un sourire lĂ©ger effleurait ses petites lĂšvres pourpres et une sorte d’émotion joyeuse soulevait ses sombres sourcils. D’autres fois, un nuage d’inquiĂ©tude les abaissait de nouveau sur le brun de ses yeux. Que devenir si ce qu’il a dit ne se rĂ©alise pas ? murmurait-elle avec une expression de doute. Que devenir si on ne me marie pas ? Si
 mais non
 cela ne sera pas. Ma marĂątre fait tout ce qui lui passe par l’esprit. Est-ce que je ne peux pas en faire autant ? Je saurai moi aussi m’entĂȘter. Qu’il est beau ! Comme ses yeux noirs brillent merveilleusement. Comme il dit Ma Parasiou »[28] chĂ©rie ! Comme sa svitka blanche lui va bien. Il lui faudrait une ceinture plus Ă©clatante ; il est vrai que j’aurai le temps de lui en broder lorsque nous serons en mĂ©nage
 Je ne puis penser sans joie, continua-t-elle en tirant de son sein un petit miroir doublĂ© de papier rouge, achetĂ© Ă  la foire, et en s’y regardant avec un vrai plaisir — je ne puis penser sans joie au jour oĂč je la rencontrerai quelque part ! Je ne la saluerai pour rien au monde, dĂ»t-elle en crever. Non marĂątre, tu as assez battu ta belle-fille ! le sable germera sur la pierre et le chĂȘne se penchera sur l’eau comme un saule pleureur, plutĂŽt que je m’incline devant toi. Ah ! oui
 j’oubliais
 je veux essayer le bonnet[29] mĂȘme de la marĂątre pour voir comment il me va. » Elle se leva le miroir dans la main et la tĂȘte inclinĂ©e sans le quitter des yeux, elle marcha timidement Ă  travers la chambre comme si elle craignait de tomber en voyant sous elle, au lieu du sol, le plafond avec ses planches d’oĂč Ă©tait dĂ©gringolĂ© le popovitch et ses rayons garnis de poteries. — Quelle enfant je fais, s’écria-t-elle en riant ; j’ai peur de faire un pas ! Et elle se mit Ă  frapper du pied ; et plus elle allait, plus elle activait le mouvement. Finalement, sa main gauche s’établit sur sa hanche, et elle se prit Ă  danser en faisant rĂ©sonner le cuivre de ses talons, en tenant devant elle le miroir et en fredonnant sa chanson favorite Petite plante verte, Couche-toi plus bas, Et toi, mon aimĂ© aux sourcils noirs, Approche-toi plus prĂšs. Petite plante verte, Couche-loi plus bas encore Et toi, mon aimĂ© aux sourcils noirs, Approche-toi plus prĂšs encore. À ce moment Tcherevik passa sa tĂȘte par la porte, et, apercevant sa fille devant le miroir, s’arrĂȘta. Longtemps il regarda souriant Ă  cette fantaisie inattendue de la jeune fille, laquelle tout absorbĂ©e ne semblait rien voir. Mais quand il entendit l’air connu de la chanson, il campa ses poings sur les hanches, s’avança fiĂšrement et se mit lui-mĂȘme Ă  danser, oubliant toutes ses affaires. Un gros rire du compĂšre les fit tressaillir tous deux. — HĂątez-vous ! le fiancĂ© est arrivĂ©. — Bravo ! le pĂšre et la fille font ici la noce tout seuls. À ces derniers mois, Paraska devint plus rouge que le ruban Ă©carlate qui nouait ses cheveux et l’oublieux pĂšre se rappela pourquoi il Ă©tait venu. — Eh bien ! fille, viens vite. Khivria, toute joyeuse que j’aie vendu la jument, a couru, dit-il en regardant craintivement autour de lui — a couru s’acheter des jupons et autres chiffons. Il faut donc en finir avant sa rentrĂ©e. À peine Paraska eut-elle franchi le seuil de la khata qu’elle se sentit dans les bras du jeune homme Ă  la svitka blanche qui, avec tout une bande, l’attendait dans la rue. — Que Dieu vous bĂ©nisse ! — dit Tcherevik, en joignant leurs deux mains — vivez unis comme les fleurs d’une couronne. Il se produisit Ă  cet instant un mouvement dans la foule. — Je crĂšverai plutĂŽt que de laisser la chose s’accomplir ! — criait la compagne de Solopi — que les gens repoussaient avec des rires. — Ne t’enrage pas ! ne t’enrage pas ! femme — dit avec sang-froid Tcherevik, en s’apercevant qu’une paire de vigoureux tziganes s’étaient emparĂ©s des bras de son Ă©pouse, — ce qui est fait est fait ; je n’aime pas Ă  revenir sur ce qui est convenu. — Non, non ! ce ne sera pas, criait Khivria ; mais personne ne l’écoutait. De nombreux couples entourĂšrent le nouveau couple et formĂšrent autour de lui une haie dansante, infranchissable. Un sentiment Ă©trange et inexprimable aurait envahi le spectateur, Ă  voir comment un seul coup d’archet du musicien, en svitka de bure et aux longues manchettes pendantes, suffit Ă  rĂ©tablir l’harmonie et l’unitĂ© dans cette foule aux sentiments les plus divers. Des hommes, sur le visage morne desquels il semblait qu’un sourire n’eĂ»t jamais glissĂ©, battaient la mesure des pieds et des Ă©paules. Tout s’élançait, tout dansait. Mais plus Ă©trange et plus inexprimable encore Ă©tait le spectacle des vieilles, dont le visage antique exhalait une indiffĂ©rence de tombeau, et qui se bousculaient au milieu de cette jeunesse riante, vivante. Insouciantes, sans mĂȘme une joie enfantine, sans une Ă©tincelle de sympathie, celles que l’alcool seul poussait — semblables Ă  un mĂ©canicien qui force son automate inanimĂ© Ă  exĂ©cuter des gestes humains — balançaient doucement leur tĂȘte enivrĂ©e, dansonnaient avec la foule joyeuse sans mĂȘme regarder le jeune couple. Puis le bruit, les rires, les chants se firent de plus en plus bas. L’archet se mourait affaibli et perdant ses sons indistincts dans le vide de l’atmosphĂšre. On entendit encore au loin un piĂ©tinement, quelque chose comme le murmure d’une mer lointaine. Tout enfin redevint dĂ©sert et muet. Ainsi la joie, belle et inconsciente hĂŽtesse, s’envole de chez nous, et c’est en vain qu’une voix isolĂ©e pense exprimer la gaietĂ©. Dans son propre Ă©cho, elle entend dĂ©jĂ  la tristesse et la solitude, et elle Ă©coute stupĂ©faite. Ainsi les espiĂšgles amis d’une jeunesse agitĂ©e et libre se perdent un Ă  un et laissent finalement seul leur ancien frĂšre. L’ennui s’étend sur l’abandonnĂ©, son cƓur se serre et rien ne peut le consoler. CHAPITRE PREMIERHANNA Un bruit de chansons roulait comme un fleuve sonore Ă  travers les rues du village de ***. C’était l’heure oĂč, fatiguĂ©s des travaux, des soucis du jour, jeunes gens et jeunes filles se rĂ©unissent en rondes bruyantes, dans l’éclat d’un soir limpide, traduisant leurs joies en sons toujours empreints de mĂ©lancolie ; et le soir mystĂ©rieux enveloppait de mĂ©lancolie le ciel bleu, noyant toutes choses dans son vague lointain. C’était dĂ©jĂ  le crĂ©puscule, et les chansons n’avaient pas cessĂ©. La bandoura Ă  la main, se glissait loin des chanteurs le jeune Cosaque Levko, fils du bailli[30] du village. Sur le Cosaque, un bonnet d’Astrakan. Le Cosaque s’avança de la rue, faisant rĂ©sonner sous ses doigts les cordes de son instrument et battant la mesure avec tout son corps. VoilĂ  qu’il s’arrĂȘte doucement devant la porte d’une khata[31] entourĂ©e de cerisiers nains. À qui cette khata ? À qui cette porte ? AprĂšs un court silence, il se mit Ă  jouer et chanta Le soleil est bas et le soir est proche, Viens auprĂšs de moi, mon petit cƓur. — Mais sans doute ma belle aux yeux clairs s’est profondĂ©ment endormie, dit le Cosaque, sa chanson finie en s’approchant de la fenĂȘtre. — Haliou ![32] Haliou ! Dors-tu ou ne veux-tu pas venir vers moi ? Tu crains peut-ĂȘtre que quelqu’un ne nous aperçoive, ou peut-ĂȘtre ne veux-tu pas exposer au froid ton petit visage blanc. Ne crains rien ; il n’y a personne. La soirĂ©e est chaude ; et si mĂȘme quelqu’un survenait, je te couvrirais de ma svitka[33], je t’envelopperais de ma ceinture, je te ferais un Ă©cran de mes mains et personne ne nous verrait. Si mĂȘme le froid se faisait sentir, viens encore je te presserai plus fort sur mon cƓur, je te rĂ©chaufferai de mes baisers, j’étendrai mon bonnet sur tes pieds blancs. Ô mon Ăąme ! mon petit poisson ! mon collier ! Montre-toi, ne fĂ»t-ce qu’un instant. À travers la petite fenĂȘtre, passe au moins ta petite main blanche. — Mais tu ne dors pas, fille orgueilleuse, reprit-il, en Ă©levant la voix et d’un ton qui trahissait la honte d’ĂȘtre ainsi Ă©conduit. Il te plaĂźt de te moquer de moi, adieu ! Ce disant, il tourna le dos, enfonça son bonnet sur l’oreille et s’éloigna fiĂšrement en promenant doucement ses doigts sur les cordes de la bandoura. Le loquet en bois de la porte tourna en ce moment, la porte s’ouvrit en grinçant, et une jeune fille Ă  son dix-septiĂšme printemps franchit le seuil, enveloppĂ©e par le crĂ©puscule et regardant timidement autour d’elle. Dans la demi-obscuritĂ© rayonnaient sympathiquement comme de petites Ă©toiles ses yeux clairs, son collier de corail rouge Ă©tincelait, et, aux yeux d’aigle du jeune homme, ne pĂ»t Ă©chapper mĂȘme la rougeur qui s’alluma pudiquement sur ses joues. — Que tu es impatient ! lui disait-elle Ă  demi-voix. Te voilĂ  dĂ©jĂ  fĂąchĂ©. Pourquoi avoir choisi une pareille heure ? La rue est pleine de monde qui va et vient. Je tremble toute
 — Oh ! Ne tremble pas, ma sensitive. Serre-toi plus fort contre moi, dit le jeune homme en l’entourant de ses bras, aprĂšs avoir rejetĂ© en arriĂšre sa bandoura suspendue Ă  une courroie, et en s’asseyant avec elle Ă  la porte de la khata. Tu sais bien comme il m’est douloureux de rester une heure sans te voir. — Sais-tu ce que je pense, interrompit la jeune fille, en fixant sur lui ses yeux songeurs ; — quelque chose me murmure Ă  l’oreille qu’à l’avenir nous ne pourrons plus nous voir aussi souvent. Ils sont mauvais les gens d’ici ; toutes les jeunes filles vous regardent avec jalousie et les jeunes gens
 Je remarque mĂȘme que ma mĂšre, depuis quelque temps, me surveille de plus prĂšs. J’avoue que je me sentais plus gaie chez les Ă©trangers. Une expression douloureuse passa sur son visage Ă  ces derniers mots. — Depuis deux mois Ă  peine dans ton pays natal, et dĂ©jĂ  tu t’ennuies ! Peut-ĂȘtre que moi aussi, je t’importune ? — Oh non ! toi, tu ne m’importunes pas, — dit-elle avec un sourire. — Je t’aime, Cosaque aux noirs sourcils. Je t’aime pour tes yeux fauves, et, quand tu les fixes sur moi, il me semble que quelque chose sourit dans mon Ăąme. Que tu marches dans la rue, que tu chantes ou que tu joues de la bandoura, j’aime Ă  t’écouter. — Oh ! Ma Halia[34], s’écria le jeune homme en l’embrassant et en la pressant plus fort contre sa poitrine. — Voyons, assez Levko, dis plutĂŽt si tu as dĂ©jĂ  parlĂ© Ă  ton pĂšre. — Quoi ? fit-il comme sortant d’un rĂȘve, que je veux me marier et toi m’épouser ? je l’ai dit. Mais ce je l’ai dit » rĂ©sonna tristement dans sa bouche. — HĂ© bien ? — Que puis-je y faire ? Le vieux raifort a fait le sourd comme toujours. Il n’entend rien et il me gronde par-dessus le marchĂ©, me reprochant de courir je ne sais oĂč avec je ne sais qui. Mais ne te chagrine pas, ma Halia, je te donne ma parole de Cosaque, que je saurai en avoir raison. — Mais tu n’as qu’un mot Ă  dire, Levko, et il sera fait selon ta volontĂ©. Je le sais par moi-mĂȘme ; parfois je voudrais bien ne pas te cĂ©der, mais, Ă  ta premiĂšre parole, je fais malgrĂ© moi tout ce que tu veux. Regarde, regarde, continua-t-elle en posant sa tĂȘte sur l’épaule du jeune homme et en Ă©levant ses yeux vers le ciel bleu et chaud de l’Ukraine voilĂ© en bas par les branches frisĂ©es des cerisiers qui les entouraient, regarde comme loin, bien loin, apparaissent de petites Ă©toiles une, deux, trois, quatre, cinq

 n’est-ce pas que ce sont les anges de Dieu qui ont ouvert les petites fenĂȘtres de leurs lumineuses demeures et qui nous observent, n’est-ce pas, Levko ? N’est-ce pas que ce sont eux qui contemplent notre terre ? Ah ! si les hommes avaient des ailes comme les oiseaux, c’est lĂ  qu’il faudrait voler, plus haut, toujours plus haut
 C’est effrayant, pas un chĂȘne de chez nous ne saurait atteindre le ciel ! On dit cependant qu’il y a quelque part, dans je ne sais quel lointain pays, un de ces arbres qui fait sa cime dans le ciel mĂȘme, et c’est par lĂ  que Dieu descend sur la terre la nuit qui prĂ©cĂšde PĂąques. — Non, Halia, Dieu a une longue Ă©chelle qui va du ciel jusqu’à la terre. Dans la nuit du samedi saint, les archanges la dressent, et, dĂšs que Dieu a mis le pied sur le premier Ă©chelon, tous les mauvais esprits s’enfuient prĂ©cipitamment et tombent en masse dans l’enfer. VoilĂ  pourquoi, Ă  PĂąques, il ne se rencontre plus un seul mauvais esprit sur la terre. — Comme l’eau s’agite doucement ! on dirait un enfant qu’on berce, reprit Hanna en dĂ©signant l’étang entourĂ© d’un noir fourrĂ© d’érables et de saules pleureurs baignant dans l’eau leurs branches plaintives. Semblable Ă  un vieillard dĂ©bile, il tenait dans sa froide Ă©treinte le sombre ciel lointain, couvrant de baisers les Ă©toiles brĂ»lantes qui rĂ©pandaient leur pĂąle lumiĂšre dans l’air sombre de la nuit comme si elles pressentaient la prochaine venue du roi Ă©clatant de la nuit. PrĂšs de la forĂȘt, sur la montagne, sommeillait avec ses contrevents fermĂ©s une vieille maison en bois ; la mousse et l’herbe sauvage couvraient le toit. Les pommiers s’étageaient devant les fenĂȘtres ; la forĂȘt l’enveloppant de son ombre, donnait Ă  cette maison un aspect morne et farouche ; un petit bois de noyers s’élevait au pied de la colline et descendait jusqu’à l’étang. — Je me rappelle comme Ă  travers un rĂȘve, dit Hanna, qu’il y a longtemps, longtemps, quand j’étais encore toute petite et que je vivais chez ma mĂšre, on me racontait sur cette maison quelque chose de terrible ; tu dois connaĂźtre cette histoire, Levko, raconte-la-moi. — Laissons cela, ma belle, que d’histoires ne racontent pas les babas et les sots ! Ce serait de l’inquiĂ©tude inutile ; tu prendrais peur et tu ne t’endormirais pas tranquille. — Raconte, raconte, mon chĂ©ri, mon parobok aux noirs sourcils, — disait-elle en appuyant son visage sur la joue du jeune homme et en l’entourant de ses bras, — sinon, c’est que tu en aimes une autre. Je n’aurai pas peur, je m’endormirai tranquillement. C’est si tu ne me dis rien que je ne pourrai pas m’endormir ; je m’agiterai avec cette idĂ©e en tĂȘte. Raconte, Levko. — On a bien raison de dire qu’il y a du diable chez les jeunes filles, qui les pousse Ă  vouloir tout connaĂźtre. Eh bien, soit ! Ă©coute — Il y a longtemps, mon petit cƓur, vivait dans cette maison un sotnik[35]. Ce sotnik avait une fille, une belle enfant blanche comme la neige, comme ton petit visage. Ce sotnik pensa Ă  se remarier. — Me dorloteras-tu comme avant, pĂšre, quand tu auras pris une autre femme ? — Oui, ma fille, je te presserai plus fort encore contre mon cƓur, — oui, ma fille, je te donnerai des boucles d’oreilles et des colliers plus Ă©clatants encore. Et le sotnik amena dans la maison sa jeune femme. Elle Ă©tait belle, cette jeune femme ; rose et blanche Ă©tait cette jeune femme. Mais elle jeta sur la jeune fille un regard si effrayant que celle-ci poussa un cri ; et, de toute la journĂ©e, la sĂ©vĂšre marĂątre ne lui adressa pas la parole. Le sotnik gagna avec sa femme la chambre Ă  coucher. Dans sa chambre, Ă©galement, s’enferma la blanche demoiselle ; elle se sentait accablĂ©e et se mit Ă  pleurer. Elle lĂšve les yeux un horrible chat noir s’est glissĂ© furtivement jusqu’à elle ; ses poils flamboient, ses griffes de fer rĂ©sonnent sur le plancher. EpouvantĂ©e, elle saute sur un banc, le chat monte aprĂšs elle. Elle saute sur le poĂȘle et le chat la suit encore ; et soudain, il se jette Ă  son cou et cherche Ă  l’étrangler. Elle l’arrache avec un cri et le jette par terre ; de nouveau le terrible chat s’approche d’elle. La colĂšre la prend ; un sabre Ă©tait accrochĂ© au mur, elle le saisit et frappe. Sous le coup, une patte est restĂ©e armĂ©e de ses griffes de fer. Et le chat, en hurlant, disparaĂźt dans l’obscuritĂ©. De toute la journĂ©e, la jeune femme ne sortit pas de sa chambre. Elle sortit le troisiĂšme jour, mais la main bandĂ©e. La pauvre demoiselle comprit que sa marĂątre Ă©tait une sorciĂšre et qu’elle lui avait coupĂ© la main. Le quatriĂšme jour, le sotnik ordonna Ă  sa fille d’aller Ă  l’eau, de balayer la khata comme une simple moujitchka[36] et de ne plus paraĂźtre dans la chambre de maĂźtre. C’était dur pour la pauvrette ; mais que faire ? elle se rĂ©signa aux ordres de son pĂšre. Le cinquiĂšme jour, le sotnik chassa sa fille les pieds nus et ne lui donna pas mĂȘme un morceau de pain pour la route. Alors, seulement, la jeune fille Ă©clata en sanglots, en couvrant de ses mains son blanc visage. — Tu m’as perdue, ĂŽ pĂšre ! moi, ta propre fille ! la sorciĂšre perdra ton Ăąme pĂ©cheresse. Que Dieu te pardonne ! Pour moi, infortunĂ©e, je n’ai plus rien Ă  faire ici-bas
 » — Et lĂ -bas, vois-tu bien ?
 Ici Levko se retourna vers Hanna, en montrant du doigt une maison. — Regarde de ce cĂŽtĂ©, lĂ -bas, un peu au-delĂ  de la maison, la berge la plus Ă©levĂ©e de l’étang, c’est de cette berge que la jeune fille se prĂ©cipita dans l’eau, et, depuis, elle n’est plus de ce monde. — Et la sorciĂšre ? interrompit anxieusement Hanna, en fixant sur le jeune homme ses yeux pleins de larmes. — La sorciĂšre ? Les vieilles femmes prĂ©tendent que depuis lors, toutes les noyĂ©es sortent de l’étang par les nuits claires et viennent dans le jardin du sotnik se chauffer aux rayons de la lune. Et la jeune fille mĂšne le funĂšbre cortĂšge. Une nuit, elle aperçut sa marĂątre auprĂšs de l’étang ; elle tomba sur elle et l’entraĂźna avec des cris dans l’eau ; mais la sorciĂšre lui joua un dernier tour. Elle se transforma sous l’eau en une des noyĂ©es et elle put ainsi Ă©chapper Ă  la volĂ©e des roseaux verts que les noyĂ©es voulaient lui administrer. Les babas, en content encore bien d’autres ! Elles rapportent, par exemple, que la jeune fille rĂ©unit chaque nuit les noyĂ©es qu’elle passe en revue, les dĂ©visageant l’une aprĂšs l’autre et s’efforçant de reconnaĂźtre celle qui cache la sorciĂšre. Mais jusqu’à prĂ©sent, ses efforts ont Ă©tĂ© vains ; et si elle rencontre quelque vivant, elle l’oblige Ă  l’aider dans ses recherches, le menaçant, en cas de refus, de le noyer Ă  son tour. — VoilĂ , ma Halia, ce que racontent les vieilles gens. Le maĂźtre actuel de la maison a l’intention de la transformer en distillerie ; il a, Ă  cet effet, envoyĂ© ici un distillateur
 Mais j’entends des voix, ce sont les nĂŽtres qui reviennent de la danse. Adieu, Halia ! Dors en paix et ne pense pas Ă  toutes ces inventions des babas. » Cela dit, il l’étreignit plus Ă©troitement, l’embrassa et partit. — Adieu, Levko, fit Hanna, sans dĂ©tacher ses yeux songeurs de la forĂȘt sombre. L’immense lune en feu surgissait en ce moment majestueuse de l’horizon ; une moitiĂ© Ă©tait encore sous la terre et dĂ©jĂ  le monde entier Ă©tait inondĂ© d’une lumiĂšre sereine. L’étang Ă©clata en Ă©tincelles ; l’ombre des arbres commençait Ă  se dessiner nettement sur la sombre verdure. — Adieu Hanna ! — et ce mot qui retentit derriĂšre elle fut accompagnĂ© d’un baiser. — Le voilĂ  de retour, dit-elle en se retournant ; mais en apercevant devant elle un inconnu, elle se rejeta en arriĂšre. — Adieu Hanna ! — Ce mot retentit de nouveau, et de nouveau quelqu’un dĂ©posa un baiser sur sa joue. — VoilĂ  que le diable en a envoyĂ© un autre, dit-elle avec colĂšre. — Adieu chĂšre Hanna ! Et des baisers tombaient sur elle de tous cĂŽtĂ©s. — Mais il y en a ici toute une lĂ©gion ! — exclama Hanna en s’arrachant Ă  la foule des jeunes gens qui l’embrassaient Ă  l’envi. Comment, n’est-ce pas assez de ces embrassades sans fin ? BientĂŽt, pardieu, on ne pourra plus se montrer dans la rue ! Sur ces paroles, la porte se referma et l’on n’entendit plus que le grincement de la barre que l’on poussait. CHAPITRE IILE BAILLI Connaissez-vous la nuit de l’Ukraine ? oh ! vous ne connaissez pas la nuit de l’Ukraine. Contemplez-la. Au milieu du ciel, la lune regarde ; la voĂ»te incommensurable s’étend et paraĂźt plus incommensurable encore ; elle s’embrase et respire. Toute la terre est dans une lumiĂšre d’argent ; l’air admirablement pur est frais, et, pourtant, il suffoque, chargĂ© de langueur et devient un ocĂ©an de parfums. Nuit divine ! Nuit enchanteresse ! Inertes et pensives, les forĂȘts reposent pleines de tĂ©nĂšbres, projetant leurs grandes ombres. Silencieux et immobiles sont les Ă©tangs ; la froideur et l’obscuritĂ© sont mornement emprisonnĂ©es dans les murailles vert sombre des jardins. Le fourrĂ© vierge de merisiers et de cerisiers Ă©tend pensivement ses racines dans le froid de l’eau ; par instants ses feuilles murmurent comme dans un frisson de colĂšre, quand le vent libertin de la nuit se glisse et leur surprend un baiser. Toute l’étendue dort. Au-dessus, lĂ -haut, tout respire ; tout est splendide et triomphal, et, dans l’ñme, s’ouvrent des espaces sans fin ; une foule de visions argentĂ©es se lĂšvent harmonieusement dans ses profondeurs. Nuit divine ! Nuit enchanteresse ! Soudain, tout s’anime et les forĂȘts, et les Ă©tangs et les steppes. Le grondement majestueux du rossignol de l’Ukraine Ă©clate et il semble que la lune s’arrĂȘte au milieu du ciel pour Ă©couter

 Sur la colline, le village sommeille comme enchantĂ©. D’un Ă©clat plus vif brillent aux rayons de la lune les lignes des chaumiĂšres ; plus Ă©clatantes, surgissent de l’ombre leurs murailles basses. Les chants se sont tus ; tout est silencieux. Les honnĂȘtes gens sont dĂ©jĂ  endormis. Çà et lĂ , cependant, sautille quelque Ă©troite fenĂȘtre. Sur le seuil d’une rare cabane, une famille attardĂ©e achĂšve de souper. Mais le Hopak[37] ne se danse pas ainsi. Non, non ; ce n’est pas cela. Que me disait donc mon confrĂšre ?
 Allons ! hop, tra la la, hop, tra la, hop, hop, hop. » Ainsi se parlait Ă  lui-mĂȘme un moujik d’ñge mĂ»r quelque peu Ă©mĂ©chĂ©, en traversant la rue. — Pardieu ! ce n’est pas ainsi que se danse le Hopak. Pourquoi me mentir ? Pardieu, non ce n’est pas cela. Allons hop, hop, tra la, hop tra la, hop, hop, hop. — Est-ce qu’il perd la tĂȘte celui-lĂ  ? Passe encore pour un jeune homme, mais un vieux sanglier comme lui, danser ainsi dans la rue pour la risĂ©e des enfants ! — s’écria une vieille femme qui passait portant une brassĂ©e de paille. — Rentre donc chez toi ; il est largement temps de dormir. — On y va, dit en s’arrĂȘtant le moujik ; on y va. Ce n’est pas le bailli qui m’en empĂȘchera. Pour qui me prend-il ? Parce qu’il fait verser de l’eau froide sur des gens dĂ©jĂ  gelĂ©s, il s’avise de lever le nez. Bailli ! Bailli ! mais je suis moi-mĂȘme mon bailli. Et que le diable m’emporte ! Que m’emporte le diable ! je suis moi-mĂȘme mon bailli. C’est entendu, bien entendu, — continua-t-il, en s’approchant de la premiĂšre Khata venue, Ă  la fenĂȘtre de laquelle il s’arrĂȘta, tĂątant du doigt les vitres et cherchant Ă  saisir le loquet en bois. — Baba, ouvre ! baba, vite ! On te dit Ouvre ! Il est temps de dormir, pour le Cosaque. — OĂč vas-tu, Kalenik ? Te trompes-tu de porte ? — criaient au milieu des rues, derriĂšre lui, des jeunes filles rentrant de la danse. — Faut-il te montrer ta Khata. — Montrez, mes chĂšres petites. — Ses chĂšres petites ! — entendez-vous ? exclama l’une d’elles. — Comme il est aimable ce Kalenik ! Il mĂ©rite qu’on lui indique sa Khata
 mais non, danse d’abord. — Danser !
 Et vous, coquines, — fit d’une voix traĂźnante Kalenik en les menaçant du doigt ; et riant et flageolant sur ses jambes il reprit Vous laisserez-vous embrasser ? Je vous embrasserai toutes, toutes
 Et titubant, il se mit Ă  leur poursuite. Les jeunes filles se mirent Ă  crier et Ă  courir en se prĂ©cipitant les unes sur les autres ; mais bientĂŽt elles reprirent courage en s’apercevant qu’il n’était pas solide sur ses jambes, et elles passĂšrent de l’autre cĂŽtĂ© de la rue. — La voilĂ  ta Khata, lui criĂšrent-elles en s’éloignant et en lui dĂ©signant une maison un peu plus grande que les autres et qui appartenait au bailli du village. Kalenik suivit docilement la direction indiquĂ©e en se mettant de nouveau Ă  injurier le bailli. Mais qui donc est ce bailli qui a pu provoquer des paroles aussi peu flatteuses Ă  son adresse ? Oh ! ce bailli est un important personnage. Avant que Kalenik n’arrive Ă  la fin de son voyage, nous aurons sans doute le temps de vous le faire connaĂźtre. Tout le village en l’apercevant lui tire son bonnet, et les plus jeunes filles lui adressent leur plus gracieux bonjour. Qui parmi les hommes, ne voudrait pas ĂȘtre bailli ? Pour lui, l’entrĂ©e est libre dans toutes les habitations, et le plus hardi moujik reste humblement tĂȘte nue tout le temps oĂč il plaĂźt au bailli de fourrer ses gros doigts dans son tabac. À l’assemblĂ©e du mir[38], bien que son pouvoir soit limitĂ© par la majoritĂ©, le bailli prend toujours le dessus, et presque Ă  sa guise. Grave et renfrognĂ©, le bailli est avare de ses paroles. Il y a longtemps, bien longtemps, lorsque la grande Czarine Catherine — de bienheureuse mĂ©moire — faisait son voyage de CrimĂ©e, il fut choisi pour l’escorter. Deux jours entiers, il remplit cette fonction, et il eut mĂȘme l’insigne honneur de s’asseoir sur le siĂšge du cocher impĂ©rial. Depuis ce temps le bailli a appris Ă  baisser la tĂȘte d’un air important et absorbĂ©, caressant ses longues moustaches et jetant, en dessous, un regard de faucon. Depuis ce temps, quel que fĂ»t le sujet de la conversation, il trouvait moyen de rappeler comment il avait conduit la Czarine et comment il s’était assis sur le siĂšge de la voiture impĂ©riale. Le bailli aime parfois Ă  faire le sourd, surtout quand il entend ce qu’il ne voudrait pas entendre. Le bailli ne peut pas souffrir une mise recherchĂ©e ; il porte invariablement une svitka en drap noir tissĂ© Ă  la maison, sur laquelle est passĂ©e une ceinture en laine de couleur ; et personne ne l’a jamais vu dans un autre accoutrement, sauf le temps du voyage de la Czarine en CrimĂ©e, lorsqu’il avait revĂȘtu un cafetan bleu de Cosaque. Il est d’ailleurs peu probable que oncques, dans le village, se souvienne de ce temps. Quant au cafetan, il le tient toujours enfermĂ© Ă  clef dans une malle. Le bailli est veuf, mais il a une parente avec lui qui lui fait la cuisine, lave les bancs, blanchit Ă  la chaux la Khata, lui tisse de la toile pour chemises et dirige toute la maison. On prĂ©tend dans le village qu’elle n’est pas sa parente ; mais nous avons dĂ©jĂ  vu que le bailli a beaucoup d’ennemis trĂšs heureux de rĂ©pandre des calomnies sur son compte. D’ailleurs, ce qui pourrait donner prĂ©texte Ă  ces on dit, c’est que la parente en question ne cacherait pas son mĂ©contentement chaque fois que le bailli entrerait dans un champ oĂč se trouveraient des moissonneuses ou chez quelque Cosaque possĂ©dant une jeune fille. Le bailli est borgne ; mais en revanche son unique Ɠil est un luron, il voit de loin une jolie villageoise ; il ne le fixe cependant pas sur un joli minois sans s’ĂȘtre bien assurĂ© que sa parente ne l’épie pas de quelque part. Nous avons dĂ©jĂ  presque tout dit au sujet du bailli, et l’ivrogne Kalenik n’est pas encore arrivĂ© Ă  moitiĂ© chemin ; et longtemps encore il continuera Ă  dĂ©verser sur le bailli toutes les Ă©pithĂštes choisies qui ne pouvaient naĂźtre que sous sa langue Ă©paisse et lourde. CHAPITRE IIIUN RIVAL INATTENDU — LE COMPLOT — Non, amis, non, je ne veux pas. Assez de folies ! Tout doit avoir une fin. On ne nous traite que dĂ©jĂ  trop de cerveaux brĂ»lĂ©s ! Allons nous coucher !
 Ainsi parlait Levko Ă  ses compagnons de noces qui voulaient l’entraĂźner Ă  de nouvelles escapades. — Adieu, frĂšres. Bonne nuit. — Et il s’éloigna Ă  grands pas. Ma Hanna dort-elle ? » pensait-il en s’approchant de la Khata aux cerisiers nains que nous connaissons. Le silence fut soudain interrompu par des paroles Ă©changĂ©es Ă  voix basse. Levko Ă©couta. Le blanc d’une chemise[39] s’apercevait Ă  travers les arbres. Qu’est-ce que cela signifie ? » pensa-t-il. Et se glissant en avant, il se cacha derriĂšre le tronc d’un arbre. À la clartĂ© de la lune, Ă©clatait un visage de jeune fille
 C’est Hanna ! Mais quel est donc cet homme de grande taille dont je ne vois que le dos ? » En vain Ă©carquillait-il les yeux, l’ombre lui cachait l’inconnu des pieds Ă  la tĂȘte. La poitrine seule Ă©tait un peu Ă©clairĂ©e ; et le moindre pas en avant de Levko l’eĂ»t exposĂ© Ă  se faire surprendre. S’appuyant sans bruit contre l’arbre, il rĂ©solut de rester immobile. La jeune fille prononça distinctement son nom. — Levko ?
 Levko est encore un blanc-bec — disait d’une voix basse et enrouĂ©e l’homme de haute taille. — Si je le rencontre jamais chez toi, je lui tirerai les oreilles
 — Je voudrais bien connaĂźtre le coquin qui se vante de me tirer les oreilles — se dit Levko, et il avança la tĂȘte de façon Ă  ne pas perdre un seul mot ; mais l’inconnu continuait Ă  parler si bas, qu’il Ă©tait impossible de rien entendre. — Tu n’as donc pas honte ! fit Hanna, aprĂšs que son interlocuteur se fut tu, — tu mens, tu me trompes, tu ne m’aimes pas ; je ne croirai jamais que tu m’aies aimĂ©e ! — Je sais, reprenait l’homme de haute taille, Levko t’a contĂ© un tas de bĂȘtises et il t’a fait tourner la tĂȘte. Cette fois il parut au jeune homme que la voix de l’inconnu ne lui Ă©tait plus aussi inconnue, qu’il l’avait dĂ©jĂ  entendue quelque part. — Je me charge de ton Levko, continuait toujours l’inconnu. Il s’imagine que je ne vois pas toutes ses polissonneries. Je lui apprendrai, Ă  ce fils de chien, la couleur de mes poings. À ces paroles, Levko ne put retenir sa colĂšre. Se prĂ©cipitant vers l’inconnu, il leva son bras sur lui pour lui administrer une volĂ©e sous laquelle, tout robuste qu’il fĂ»t, l’inconnu n’aurait pu tenir, mais, au mĂȘme moment, la lune Ă©claira son visage, et Levko resta comme pĂ©trifiĂ©, il avait devant lui son pĂšre. Seuls un hochement de sa tĂȘte et un lĂ©ger sifflement exprimĂšrent sa stupĂ©faction. On entendit un frĂŽlement. Hanna disparut dans sa Khata en poussant derriĂšre elle la porte. — Adieu Hanna ! s’écria alors un des jeunes gens survenant tout Ă  coup et ouvrant ses bras pour la suivre ; mais, ĂŽ terreur ! il se rejeta en arriĂšre, stupĂ©fait de s’ĂȘtre heurtĂ© aux raides moustaches du bailli. — Adieu, adieu, Hanna, continuĂšrent plusieurs jeunes gens en se suspendant Ă  son cou. — Allez au diable, polissons maudits, hurlait le bailli en se dĂ©battant et en frappant rageusement la terre du pied. — Pour quelle Hanna me prenez-vous ? Allez donc prendre Ă  la potence la place de vos pĂšres, fils de Satan ! Vous ĂȘtes comme autant de mouches aprĂšs le miel. Je vous en donnerai des Hanna !
 — Le bailli ! le bailli ! c’est le bailli ! s’écriĂšrent les jeunes gens en se dispersant de tous cĂŽtĂ©s. — Voyez-vous ce pĂšre ! fit Levko revenu de sa stupeur et suivant des yeux le bailli qui s’éloignait en jurant — quel polisson cela fait ! c’est joli ! Et moi qui m’étonnais et qui ne comprenais rien Ă  cette Ă©nigme de la sourde oreille qu’il me fait lorsque je lui parle de mes amours. Attends un peu, vieux raifort ; je t’apprendrai Ă  courir la fiancĂ©e d’autrui. — HĂ© ! hĂ© ! vous autres. Ici, ici, criait Levko en faisant de la main signe Ă  ses amis qui, de nouveau, s’étaient rassemblĂ©s. — Venez vite. Je vous ai tout Ă  l’heure engagĂ©s Ă  aller vous coucher, mais maintenant j’ai rĂ©flĂ©chi, me voilĂ  prĂȘt Ă  nocer avec vous toute la nuit s’il faut. — À la bonne heure, reprit l’un d’eux large d’épaules et bien bĂąti et qui passait pour le premier noceur et le plus grand polisson de la bande. — Je ne suis pas dans mon assiette lorsque je n’ai pas assez nocĂ©. Il me semble qu’il me manque quelque chose, comme si j’avais perdu mon bonnet ou ma pipe. En un mot, je ne suis plus un Cosaque, c’est tout dire. — Êtes-vous dĂ©cidĂ©s Ă  bien faire endiabler le bailli ? — Le bailli ? — Oui, le bailli. Qu’est-ce qu’il s’est fichĂ© dans la tĂȘte ? Il fait ici son hetmann. Il ne lui suffit pas de nous traiter en esclaves, il s’acharne encore aprĂšs nos filles. Il n’est peut-ĂȘtre pas dans tout le village une seule fille Ă  peu prĂšs jolie qu’il n’ait relancĂ©e. — C’est vrai ! c’est vrai ! s’écriĂšrent-ils tous d’une seule voix. — Eh ! quoi donc, enfants ; nous prendrait-on pour la vile race de Cham ? Nous ne sommes pas du mĂȘme sang que lui. GrĂące Ă  Dieu, nous sommes de libres Cosaques. Prouvons-lui, camarades, que nous sommes de libres Cosaques ! — Nous le prouverons ! exclamĂšrent les jeunes gens, et si nous rĂšglons nos comptes avec le bailli, il ne faudra pas oublier le scribe. — Le scribe ne sera pas oubliĂ©. J’ai prĂ©cisĂ©ment pour la circonstance une chanson toute prĂȘte contre le bailli. En route, je vais vous l’apprendre, ajouta Levko en pinçant les cordes de sa bandoura, Que chacun se travestisse comme bon lui semblera. — ArriĂšre, toi, tĂȘte de Cosaque, dit notre robuste polisson en frappant pied contre pied et en faisant claquer ses mains. Quelle fĂȘte ! quelle libertĂ© ! quand tu te mets Ă  dĂ©lirer, il te revient comme une bouffĂ©e des anciens temps. C’est bon Ă  ton cƓur libre et ton Ăąme est comme dans le paradis. HĂ© compagnons ! HĂ© ! amusez-vous !
 La foule s’élança bruyamment Ă  travers les rues ; et les honnĂȘtes vieilles femmes, rĂ©veillĂ©es par les cris, soulevaient leurs fenĂȘtres, et en se signant de leurs mains endormies, elles murmuraient Allons, les parobki s’amusent aujourd’hui. » IVLES PAROBKI S’AMUSENT Une seule khata est encore Ă©clairĂ©e Ă  l’extrĂ©mitĂ© de la rue. C’est la demeure du bailli. Le bailli a depuis longtemps fini de souper et depuis longtemps dĂ©jĂ , il serait endormi, sans doute, s’il n’avait chez lui un convive, le distillateur envoyĂ© pour installer la distillerie par le Pomiestchik[40] qui prendrait un petit lopin de terre au milieu des Cosaques libres. Juste sous les ikĂŽnes, Ă  la place d’honneur, Ă©tait assis le convive, un petit homme tout rond, aux petits yeux toujours riants oĂč reluisait le plaisir de fumer sa courte pipe en crachant Ă  tout instant et en tassant de son doigt la cendre de tabac qui dĂ©bordait. Le nuage de fumĂ©e qui s’épanouissait au-dessus de sa tĂȘte, l’enveloppait d’une brume grisĂątre. On eĂ»t dit un large tuyau de cheminĂ©e de distillerie qui, s’ennuyant de monter la garde sur son toit, se serait avisĂ© de s’échapper et d’aller confortablement s’asseoir Ă  la table du bailli. Sous son nez se dressaient de courtes et Ă©paisses moustaches, mais elles ne s’entrevoyaient que par instants et si indistinctement, Ă  travers l’atmosphĂšre du tabac, qu’elles semblaient une souris que le distillateur aurait happĂ©e et tiendrait dans sa bouche au dĂ©triment du monopole du chat de la grange. Le bailli, comme maĂźtre de maison, Ă©tait assis simplement vĂȘtu d’une chemise et d’un pantalon de toile. Son Ɠil d’aigle, comme un soleil couchant, commençait peu Ă  peu Ă  cligner et Ă  s’éteindre. Au bout de la table, fumait sa pipe un des dizainiers du village qui composaient la garde du bailli. Par dĂ©fĂ©rence pour le maĂźtre, il portait sa svitka. — Pensez-vous bientĂŽt installer votre distillerie ? dit le bailli en s’adressant au distillateur et en faisant un signe de croix sur sa bouche ouverte pour un bĂąillement. — Dieu aidant, il se peut que nous distillions dĂšs cet automne. À la Pokrov[41] je gage que monsieur le bailli zigzaguera textuellement Ă©crira de ses pieds des croissants allemands dans la rue. Sur ces mots, les yeux du distillateur disparurent et firent place Ă  des plis allant jusqu’aux oreilles ; tout son corps fut secouĂ© d’un fou rire et ses lĂšvres joyeuses quittĂšrent pour un moment la pipe fumante. — Plaise Ă  Dieu ! fit le bailli dont le visage exprima quelque chose qui voulait ĂȘtre un sourire. Aujourd’hui encore, il ne se monte que peu de distilleries, mais, dans l’ancien temps, alors que j’accompagnais la Czarine sur la route de PereĂŻaslav, dĂ©funt Bezborodko
 — À quelle Ă©poque tu nous ramĂšnes, compĂšre ! Alors, de Krementchoug jusqu’à Romen mĂȘme, Ă  peine si on pouvait compter deux distilleries, tandis qu’aujourd’hui
 As-tu ouĂŻ dire ce que les maudits Allemarids ont inventĂ© ? BientĂŽt, paraĂźt-il, on ne distillera plus au bois comme tous les honnĂȘtes chrĂ©tiens, mais avec quelque vapeur de diable
 En prononçant ces paroles, le distillateur fixait ses regards vers la table sur ses mains qu’il y avait appuyĂ©es. — Comment fera-t-on avec la vapeur ? C’est ce que, pardieu, je ne m’explique pas ! — Quels imbĂ©ciles que ces Allemands — fit le bailli. — Il faudrait les fustiger, ces fils de chien ! A-t-on jamais eu l’idĂ©e de faire bouillir quelque chose avec la vapeur. On ne pourra plus porter une cuillerĂ©e de borstch soupe Ă  sa bouche sans se brĂ»ler les lĂšvres comme un cochon de lait
 — Et toi, compĂšre, interrompit la parente assise sur le poĂȘle les jambes repliĂ©es, est-ce que tu vas vivre ici tout le temps sans ta femme ? — Eh ! qu’en ai-je besoin ? Ce serait autre chose si elle en valait la peine. — Elle n’est donc pas jolie ? demanda le bailli en fixant sur lui son Ɠil unique. — Jolie ? vieille comme le diable. Tout son museau n’est qu’un amas de rides ; on dirait une bourse vidĂ©e. Et la basse charpente du distillateur s’ébranla de nouveau d’un rire Ă©norme. À ce moment un frĂŽlement s’entendit derriĂšre la porte ; la porte s’ouvrit et un moujik, sans ĂŽter son bonnet, franchit le seuil et s’arrĂȘta au milieu de la khata, comme absorbĂ© dans ses rĂ©flexions, la bouche ouverte et examinant le plafond. C’était notre connaissance Kalenik. — Me voici arrivĂ© chez moi, dit-il, en s’asseyant sur un banc prĂšs de la porte, et sans faire la moindre attention aux personnes prĂ©sentes. — Ce fils du malin, a-t-il allongĂ© la route. On marche, on marche, et pas de fin, on dirait que quelqu’un m’a brisĂ© les jambes. Cherche-moi, baba, mon touloupe[42] pour l’étendre sous moi. Je n’irai pas auprĂšs de toi sur le poĂȘle ; ma parole ! je n’irai pas. Les jambes me font trop mal. Donne-le !
 il est lĂ , auprĂšs des ikĂŽnes. Prends garde seulement de renverser le pot au tabac ; ou plutĂŽt non, n’y touche pas ! n’y touche pas ! Tu es peut-ĂȘtre ivre aujourd’hui laisse, je vais le chercher moi-mĂȘme. Kalenik fit un effort pour se soulever, mais une force irrĂ©sistible le cloua sur le banc. — Pas gĂȘnĂ© ! dit le bailli. Il est dans la Khata des autres ; il y donne des ordres comme chez lui ; qu’on le mette dehors et vite !
 — Laisse-le, compĂšre, rĂ©pondit le distillateur en le retenant par la main. C’est un homme prĂ©cieux ; plus il y en aura de son espĂšce, plus marchera notre distillerie
 Ce n’était cependant pas par bontĂ© d’ñme qu’il s’exprimait ainsi ; le distillateur Ă©tait superstitieux ; il croyait que chasser un homme Ă  peine entrĂ©, portait malheur. — Et que sera-ce quand viendra la vieillesse ? grognait Kalenik en s’étendant sur le banc. — Passe encore si j’étais ivre ! mais, moi ! Je ne suis pas ivre, non, je ne le suis pas. Pourquoi mentirais-je ? Je suis prĂȘt Ă  le soutenir devant le bailli lui-mĂȘme. Que m’importe le bailli ! qu’il crĂšve, ce fils de chien ! Je crache sur lui. Qu’une charrue passe sur ce borgnon du diable ! Parce qu’il verse de l’eau glacĂ©e sur des gens qui gĂšlent
 — HĂ© ! HĂ© ! Laissez entrer le cochon dans la maison, et, immĂ©diatement, il met ses pattes sur la table, dit le bailli en se levant tout en colĂšre. Mais, au mĂȘme instant, une grosse pierre faisant voler la fenĂȘtre en Ă©clats, vint tomber Ă  ses pieds. Le balli s’arrĂȘta
 — Si je savais, reprit-il, en ramassant la pierre, quel est l’échappĂ© de potence qui l’a lancĂ©e, je lui apprendrais Ă  tirer. Quelle coquinerie ! — continua-t-il en examinant le projectile d’un regard dĂ©sespĂ©rĂ©. Puisse cette pierre l’étouffer. — Halte-lĂ  ! Halte-lĂ  ! que Dieu t’en prĂ©serve, compĂšre, interrompit vivement le distillateur en pĂąlissant, que Dieu te prĂ©serve dans ce monde et dans l’autre de gratifier personne d’un pareil souhait !
 — Ne vas-tu pas encore prendre sa dĂ©fense ? qu’il crĂšve !
 — Loin de toi une pareille pensĂ©e, compĂšre. Tu ne sais probablement pas ce qui est arrivĂ© Ă  ma dĂ©funte belle-mĂšre. Oui ! Ă  ma belle-mĂšre. Un soir, peut-ĂȘtre un peu plus tĂŽt qu’il n’est Ă  prĂ©sent, on soupait DĂ©funte belle-mĂšre, dĂ©funt beau-pĂšre, un valet de ferme et une servante et une demi-douzaine d’enfants. La belle-mĂšre avait versĂ© des galouchki de l’énorme marmite dans un plat pour qu’elles ne fussent pas aussi chaudes. Ce travail terminĂ©, tous avaient grand faim et ne voulaient pas attendre qu’elles se refroidissent. En les piquant avec de longues aiguilles de bois, ils se mirent Ă  manger. Soudain, survint on ne sait d’oĂč, un homme Dieu sait qui il Ă©tait, demandant Ă  ce qu’on lui fit place. Comment ne pas donner Ă  manger Ă  un homme affamĂ© ! On lui donne aussi une aiguille ; mais l’hĂŽte engloutissait les galouchki comme une vache le foin. Avant que les autres aient avalĂ© une galouchka et ne soient mis en mesure d’en prendre une seconde, le fond du plat Ă©tait aussi net qu’une dalle d’église. La belle-mĂšre le remplit de nouveau. Elle pensait qu’ayant dĂ©jĂ  apaisĂ© sa faim, l’inconnu procĂ©derait moins vite. Pas du tout, il n’en dĂ©vora que plus fort et il vida le second plat. Puisses-tu Ă©touffer de ces galouchki ! pensa la belle-mĂšre affamĂ©e. Lorsque tout Ă  coup, il avala de travers ; il tomba. On s’empressa autour de lui. La vie n’y Ă©tait plus ! il Ă©tait Ă©touffĂ©. — Il ne l’avait pas volĂ© ! le maudit goulu !
 exclama le bailli. — VolĂ© ou non ! depuis ce soir, ma belle-mĂšre n’eut plus de repos. AussitĂŽt la nuit, le mort se dressait ; il s’asseyait Ă  cheval sur la cheminĂ©e, le maudit, et tenait la galouchka entre ses dents. Pendant le jour tout allait bien ; aucune trace de lui ; mais aussitĂŽt qu’il faisait sombre
 regardez le toit ; il enfourche dĂ©jĂ  le tuyau, ce fils de chien !
 — Et la galouchka entre ses dents ? — La galouchka entre ses dents. — Etrange ! compĂšre ; j’ai entendu quelque chose d’approchant, moi aussi, Ă  propos de la dĂ©funte
 Mais le bailli s’arrĂȘta, on entendait vers la fenĂȘtre du bruit et un piĂ©tinement de danseurs. D’abord, les lĂ©gers sons de la bandoura auxquels vint s’ajouter une voix. La bandoura rĂ©sonna plus fort ; plusieurs voix l’accompagnaient et la chanson Ă©clata comme un ouragan Amis, avez-vous entendu ? Vos tĂȘtes ne sont donc pas solides !
 Chez le borgne bailli Les douves de la tĂȘte se sont disjointes. Tonnelier, ressoude lui la tĂȘte Avec des cercles en acier. Remets-lui, tonnelier, la tĂȘte, À coups de fouet, Ă  coup de fouet. Notre bailli est grisonnant et borgne, Vieux comme le diable et imbĂ©cile, Despote et dĂ©bauchĂ©. Il se frotte aux filles, l’imbĂ©cile. Et ça se mĂȘle aux parobki ! Il faudrait te mettre dans la biĂšre ; T’arracher les moustaches et te bourrer de coups Te tirer les cheveux, te tirer les cheveux. — Une jolie chanson ! compĂšre, dit le distillateur en inclinant la tĂȘte de cĂŽtĂ© et en se tournant vers le bailli pĂ©trifiĂ© de tant d’audace, — trĂšs jolie ! le dommage est qu’elle parle du bailli dans des termes pas tout Ă  fait convenables. Et il apposa de nouveau ses mains sur la table, les yeux pleins d’un doux attendrissement en se disposant Ă  Ă©couter encore, car, sous la fenĂȘtre, retentissaient des rires et les cris Bis ! bis ! Cependant un Ɠil attentif aurait dĂ©couvert que ce n’était pas la stupeur qui retenait si longtemps le bailli sur place. C’est ainsi qu’un vieux matou expĂ©rimentĂ© laisse parfois courir autour de sa queue une souris sans expĂ©rience, tout en Ă©chafaudant un plan pour lui couper la retraite. L’Ɠil solitaire du bailli Ă©tait encore fixĂ© sur la fenĂȘtre que dĂ©jĂ  sa main, aprĂšs avoir fait signe au dizainier, s’était emparĂ©e du loquet en bois de la porte
 et, soudain, dans la rue, une rumeur s’éleva
 Le distillateur qui, Ă  une foule d’autres qualitĂ©s, joignait la curiositĂ©, bourrant rapidement sa pipe, se prĂ©cipita Ă  son tour dehors, mais les espiĂšgles Ă©taient dĂ©jĂ  dispersĂ©s. — Non ! tu ne m’échapperas pas ! criait le bailli, en traĂźnant par la main un individu enveloppĂ© dans un touloupe noir retournĂ©[43]. Profitant de la circonstance, le distillateur accourut regarder le visage de ce trouble-fĂȘte, mais il recula effrayĂ© en apercevant une longue barbe et un museau entiĂšrement peint. — Non ! tu ne m’échapperas pas, criait le bailli en continuant Ă  traĂźner dans le vestibule son prisonnier lequel, sans opposer la moindre rĂ©sistance, le suivait docilement comme s’il entrait dans sa propre khata. — Karpo, ouvre le cachot, dit le bailli au dizainier. Nous allons l’enfermer dans le cachot noir, puis nous rĂ©veillerons le scribe ; nous rĂ©unirons les dizainiers ; nous ferons une rafle de tous ses complices et, aujourd’hui mĂȘme, nous rĂšglerons leur compte. Le dizainier fit rĂ©sonner un petit cadenas et ouvrit le cachot. À ce moment, le prisonnier, profitant de l’obscuritĂ© du vestibule, se dĂ©gagea de ses mains avec une force extraordinaire. — Halte lĂ  ! exclama le bailli en le saisissant plus fortement au collet. — Laisse donc ! c’est moi, fit entendre une voix aigrelette. — Inutile ! inutile ! frĂšre, tu auras beau piauler, non seulement comme un diable mais comme une baba, tu ne me donneras pas le change, — et il le poussa avec une telle violence dans le cachot sombre que le pauvre prisonnier gĂ©mit et roula par terre. Le bailli, accompagnĂ© du dizainier, sortit de la maison et se rendit chez le scribe ; et derriĂšre lui, suivait en fumant comme un bateau Ă  vapeur le distillateur. Ils marchaient ainsi tous trois absorbĂ©s dans leurs pensĂ©es, la tĂȘte basse, lorsque tout Ă  coup, au dĂ©tour d’une ruelle obscure, ils poussĂšrent un cri unanime sous un coup violent qui venait de les atteindre au front. Un cri semblable leur rĂ©pondit. Le bailli, en clignant de l’Ɠil, aperçut avec stupeur devant lui le scribe et deux dizainiers. — J’allais justement chez toi, maĂźtre scribe. — Et moi, je me rendrais chez Ton Honneur, maĂźtre bailli. — Quelles choses Ă©tranges il se passe, maĂźtre scribe ! — D’étranges choses ! maĂźtre bailli ! — Eh ! quoi donc !
 — La jeunesse est dĂ©chaĂźnĂ©e ; elle court la rue en bande, mettant tout sens dessus dessous ; et elle cĂ©lĂšbre Ton Honneur avec de telles paroles
 qu’on a honte de les rĂ©pĂ©ter Un Moscovite mĂȘme hĂ©siterait Ă  les prononcer de sa langue impure ! Tout cela fut dit par le scribe, efflanquĂ© en pantalon Ă  carreaux et en gilet couleur lie de vin, dont le cou s’allongeait et rentrait tout Ă  tour. — J’avais dĂ©jĂ  fait un petit somme lorsqu’ils m’ont arrachĂ© de mon lit avec leur impudente chanson et leur tapage ; mon idĂ©e Ă©tait de les corriger ; mais, avant de le faire, j’ai voulu passer pantalon et gilet, et ils avaient dĂ©campĂ©. Le principal, cependant, ne m’a pas Ă©chappĂ©. Il chante maintenant dans la cabane oĂč l’on enferme les malfaiteurs. Je grillais de reconnaĂźtre l’oiseau, mais son museau est barbouillĂ© de suie et noir comme celui d’un diable occupĂ© Ă  forger des clous pour les damnĂ©s. — Et comment est-il vĂȘtu ? maĂźtre scribe. — D’un touloupe noir retournĂ©, ce fils de chien, maĂźtre bailli. — Ne mentirais-tu pas, maĂźtre scribe ? celui que tu prĂ©tends avoir arrĂȘtĂ© est, en ce moment, enfermĂ© chez moi au cachot. — Non, maĂźtre bailli, c’est toi-mĂȘme, cela soit dit sans te fĂącher, qui te trompes. Tout en parlant, les deux troupes rĂ©unies se dirigeaient vers la maison du bailli. — Qu’on apporte de lĂ  lumiĂšre, nous allons voir. La lumiĂšre fut apportĂ©e. On ouvrit la porte et le bailli poussa un Ha ! » de stupeur en apercevant devant lui sa parente. — Dis-moi un peu, fit-elle, n’as-tu pas perdu ce qui te reste d’esprit ? Avais-tu dans ta caboche Ă  l’Ɠil unique un brin de cervelle, lorsque tu m’as poussĂ©e dans le cachot ? Heureusement encore que je ne me suis pas heurtĂ©e la tĂȘte contre le banc de fer. Ne t’ai-je pas criĂ© C’est moi ! » ce qui ne t’a pas empĂȘchĂ©, maudit ours, de me saisir dans tes pattes de fer et de me pousser. Que les diables te poussent ainsi dans l’autre monde !
 Elle prononça les derniers mots de derriĂšre la porte dans la rue oĂč elle Ă©tait appelĂ©e par quelque affaire particuliĂšre. — Oui, je vois bien que c’est toi, dit le bailli en revenant Ă  lui. — Qu’en dis-tu, maĂźtre scribe, n’est-ce pas une canaille que ce maudit coquin ? — Une vraie canaille, maĂźtre bailli ! — N’est-il pas temps de donner une leçon Ă  tous ces vauriens et de leur apprendre Ă  ne se mĂȘler que de ce qui les regarde ? — Il y a beau temps, maĂźtre bailli. — Ces imbĂ©ciles qui se sont mis
 que diable ! il me semble entendre dans la rue les cris de ma parente
 Ces imbĂ©ciles qui se sont mis dans la tĂȘte que je suis leur Ă©gal ; ils me prennent pour un autre, un simple Cosaque ! Une petite toux et un regard jetĂ© en dessous autour de lui, donnaient Ă  croire, que le bailli allait dire quelque chose d’important. — En mille
 ces maudites dates, on aurait beau me tuer, impossible de me les rappeler enfin, peu importe l’annĂ©e, on donna l’ordre au commissaire d’alors, Ledatchy, de choisir parmi les Cosaques celui qui serait plus intelligent que les autres. Oh ! ce oh ! le bailli le prononça en Ă©levant le doigt, le plus intelligent pour accompagner la Czarine. Moi alors. — Cela va sans dire ; tout le monde sait dĂ©jĂ , maĂźtre bailli, comment tu as mĂ©ritĂ© les faveurs de la Czarine. Avoue maintenant que c’est moi qui Ă©tais dans le vrai ; tu as menti quelque peu littĂ©ralement, tu as pris un petit pĂ©chĂ© sur ton Ăąme, en disant que tu avais arrĂȘtĂ© le coquin en touloupe retournĂ©. — Quant Ă  ce diable en touloupe retournĂ©, il faut le charger de chaĂźnes et le chĂątier exemplairement. Il faut qu’on sache ce que c’est que l’autoritĂ©. De qui donc le bailli tient-il son pouvoir, si ce n’est du Czar lui-mĂȘme ? Nous nous occuperons aprĂšs des autres
 Je n’ai pas oubliĂ© comment ces satanĂ©s vauriens ont introduit dans mon potager toute une bande de cochons qui ont dĂ©vorĂ© mes choux et mes concombres. Je n’ai pas oubliĂ© comment ces fils du diable ont refusĂ© de battre mon blĂ© ; je n’ai pas oublié  mais qu’ils aillent se faire pendre ! avant tout, il me faut absolument apprendre quelle est cette canaille en touloupe retournĂ©. Nous n’avons plus maintenant qu’à aller reconnaĂźtre ton prisonnier
 Et de nouveau la petite bande sortit de la maison. — C’est certainement une fine mouche, dit le distillateur dont les joues au cours de toute cette conversation se chargeaient sans cesse de fumĂ©e comme un cƓur de siĂšge et dont les lĂšvres, abandonnant la courte pipe, jetĂšrent comme un torrent de feu ; — il ne serait pas mal de tenir un pareil homme, Ă  tout hasard, Ă  portĂ©e de la distillerie ou encore de l’accrocher au sommet d’un chĂȘne en guise d’encensoir. Cette saillie ne sembla pas trop bĂȘte au distillateur qui, sans attendre l’approbation des autres, se dĂ©cida aussitĂŽt Ă  se rĂ©compenser par un rire enrouĂ©. On approchait en ce moment d’une petite maison presque tombĂ©e en ruines. La curiositĂ© de notre petite troupe augmenta. Ils se pressĂšrent tous contre la porte. Le scribe prit la clef et la heurta contre la serrure ; mais c’était la clef de sa malle. L’impatience redoublait. Plongeant la main dans sa poche, le scribe se mit de nouveau Ă  chercher et Ă  jurer sans pouvoir rien trouver. — VoilĂ  ! voilĂ  la clef ! dit-il enfin en se baissant et en tirant la vraie clef des profondeurs de sa large poche dont Ă©tait muni son pantalon Ă  carreaux. À ces mots, les cƓurs de nos hĂ©ros semblaient se confondre en un seul, et cet Ă©norme cƓur se mit Ă  battre si fortement que ses battements inĂ©gaux n’étaient pas mĂȘme recouverts par le bruit du cadenas. La porte s’ouvrit
 et le bailli devint pĂąle comme un linge, le distillateur ressentit un froid et ses cheveux semblaient vouloir s’envoler au ciel. La terreur se peignit sur le visage du scribe. Les dizainiers restaient clouĂ©s sur place et n’étaient pas en mesure de fermer leurs bouches ouvertes par une commune Ă©pouvante ils avaient devant eux la Parente ! Non moins stupĂ©faite, elle revint cependant quelque peu Ă  elle et fit un mouvement pour s’approcher d’eux. — Halte ! hurla d’une voix sauvage le bailli et il referma la porte sur elle ; mes amis, c’est Satan ! continua-t-il, du feu ! vite, du feu ! Peu importe que ce soit un bĂątiment du trĂ©sor ! Flambez-le ! Flambez-le ! La parente, entendant la terrible sentence, criait terrifiĂ©e derriĂšre la porte. — Que faites-vous ! frĂšres, dit le distillateur. Eh quoi ! vos cheveux sont dĂ©jĂ  presque couleur de neige et vous avez encore assez peu d’esprit pour ignorer que les sorciers ne peuvent ĂȘtre brĂ»lĂ©s par le simple feu ? Ce n’est que le feu de la pipe qui peut rĂŽtir le malin. Attendez, je vais y mettre ordre tout de suite. » Cela dit, il versa la cendre allumĂ©e de sa pipe sur de la paille et souffla dessus pour activer la flamme. Le dĂ©sespoir donna alors du courage Ă  la pauvre parente ; elle mit toute sa voix Ă  les supplier et Ă  les convaincre — Attendez, frĂšres pourquoi vous charger inutilement d’un pĂ©chĂ© ! — Peut-ĂȘtre, n’est-ce pas Satan, dit le scribe. Si elle, — c’est-Ă -dire ce qui est enfermĂ© lĂ -dedans — consent Ă  faire un signe de croix, ce sera une preuve certaine que ce n’est pas le Malin. L’idĂ©e fut approuvĂ©e. — ArriĂšre, Satan ![44] continua le scribe en appliquant sa bouche Ă  la fente de la porte, — si tu ne bouges pas de place nous ouvrirons la porte. La porte s’ouvrit. — Fais un signe de croix, dit le bailli en regardant autour de lui comme s’il cherchait un refuge en cas de danger. La parente se signa. — Que Diable ! c’est bien la parente ! — Quelle puissance infernale t’a traĂźnĂ©e, commĂšre, dans cette prison ? Et la parente en sanglotant, raconta comment les jeunes gens l’avaient saisie dans la rue, et, malgrĂ© sa rĂ©sistance, l’avaient fait passer Ă  travers la large fenĂȘtre de la cabane en refermant sur elle le contrevent. Le scribe examinan le fenĂȘtre et constata, en effet, que les gonds Ă©taient arrachĂ©s et que le contrevent avait Ă©tĂ© refermĂ© de dehors Ă  l’aide d’une barre de bois. — C’est bon ! borgne du diable ! s’écria-t-elle, en marchant sur le bailli qui se rejeta en arriĂšre en continuant Ă  l’observer de l’Ɠil qui lui restait, je connais le fond de ta pensĂ©e ; tu Ă©tais bien aise de profiter de l’occasion pour te dĂ©barrasser de moi, de façon Ă  ĂȘtre plus libre pour courir les filles et n’avoir plus personne qui puisse voir un grand-pĂšre aux cheveux gris, faire bĂȘtement le galant ! Je sais tout, va ! ce n’est pas Ă  moi qu’on donne le change, surtout une caboche comme la tienne. Je peux supporter longtemps, mais gare la fin !
 Et ce disant, elle lui montra le poing et s’éloigna rapidement en laissant le bailli comme pĂ©trifiĂ© ! Non vraiment ! c’est bien le diable qui est lĂ -dessous ! » pensa-t-il en se grattant rageusement la nuque. — Nous le tenons ! s’écriĂšrent les dizainiers qui entrĂšrent en ce moment. — Qui tenez-vous ? demanda le bailli. — Le diable en touloupe retournĂ©. — Amenez-le, s’écria le bailli, en saisissant le prisonnier par la main. — Êtes-vous fous ? mais c’est l’ivrogne Kalenik ! — Pas possible ! c’est nous-mĂȘmes qui l’avons empoignĂ©, maĂźtre bailli, rĂ©pondirent les dizainiers. Les satanĂ©s gars nous ont entourĂ©s dans la ruelle ; ils se sont mis Ă  danser en s’accrochant Ă  nos vĂȘtements, Ă  nous tirer la langue et Ă  nous arracher les mains !
 Que le diable les emporte !
 Et comment, au lieu et place de l’un d’eux, a-t-on substituĂ© ce corbeau ?
 Dieu le sait
 — En mon nom et au nom de tout le mir que je reprĂ©sente, ordre est donnĂ©, dit le bailli, de saisir immĂ©diatement le brigand et, de la mĂȘme façon, tous ceux qui seront trouvĂ©s dans la rue. Et qu’on me les amĂšne pour le chĂątiment. — Par grĂące ! maĂźtre bailli, s’écriĂšrent quelques-uns en s’inclinant jusqu’à terre, si tu voyais ces museaux ! Que Dieu nous tue, si depuis notre naissance, et depuis que nous avons Ă©tĂ© baptisĂ©s, nous avons jamais rencontrĂ© des masques aussi Ă©pouvantables ! Un accident est vite arrivĂ©, maĂźtre bailli ! On peut s’effrayer quelquefois Ă  tel point qu’aucun honnĂȘte homme ni aucune honnĂȘte femme en puissent guĂ©rir. — Je vous guĂ©rirai de ces frayeurs ! Eh quoi ! vous refusez d’obĂ©ir ? Vous ĂȘtes peut-ĂȘtre d’accord avec eux ? vous vous mutineriez ? qu’est-ce donc ? mais qu’est-ce donc ?
 Vous encouragez le dĂ©sordre ?
 vous
 Je ferai mon rapport au commissaire, vite, entendez-vous,
 plus vite
 courage
 volez comme une flĂšche. Pour que vous me
 Tous s’enfuirent. CHAPITRE VLA NOYÉE Sans s’inquiĂ©ter de rien, sans plus de souci de ceux qui Ă©taient envoyĂ©s Ă  sa poursuite, l’auteur responsable de tout ce tapage s’acheminait lentement vers la vieille maison de l’étang. Inutile, n’est-ce pas, de dire que c’était Levko. Son touloupe noir Ă©tait dĂ©boutonnĂ©, il tenait Ă  la main son bonnet ; la sueur ruisselait de son front. Majestueuse et morne, la forĂȘt d’érables prĂ©sentait Ă  la lune ses masses noires. Immobile, l’étang soufflait sa fraĂźcheur sur le passant fatiguĂ© et l’obligeait Ă  s’asseoir sur le bord. Tout Ă©tait calme, dans le profond fourrĂ© on n’entendait que les roulades du rossignol. Un sommeil irrĂ©sistible ne tarda pas Ă  fermer ses paupiĂšres. Ses membres fatiguĂ©s se laissaient aller Ă  l’assoupissement, sa tĂȘte s’inclinait. — Non ! je serais capable de m’endormir, dit-il, en se redressant sur ses jambes et en se frottant les yeux. Il regarda autour de lui. La nuit lui semblait encore plus fĂ©erique. Une lueur Ă©trange et dĂ©licieuse s’ajoutait Ă  l’éclat de la lune. Jamais il n’avait assistĂ© Ă  pareil spectacle. Une brume argentĂ©e descendait partout autour de lui. Le parfum des pommiers fleuris et des fleurs nocturnes inondait la terre. StupĂ©fait, il contemplait les eaux immobiles de l’étang. La vieille maison seigneuriale renversĂ©e dans ce miroir mouvant y apparaissait sereine et dans une Ă©clatante majestĂ©. Au lieu des volets sombres, Ă©taient ouvertes comme des yeux les vitres joyeuses des fenĂȘtres et des portes ; Ă  travers leur limpiditĂ© s’entrevoyait la dorure. Et voilĂ  qu’il lui semble voir s’ouvrir une fenĂȘtre. En retenant son souffle, mais sans trembler et sans quitter des yeux l’étang, il se sent transportĂ© dans sa profondeur et voit Un bras blanc apparaĂźt d’abord Ă  la fenĂȘtre, bientĂŽt suivi d’une charmante petite tĂȘte aux yeux clairs luisant doucement Ă  travers des flots de cheveux d’un blond sombre. Elle s’accoude ; et il voit
 elle secoue lĂ©gĂšrement la tĂȘte, elle agite ses mains ; elle sourit
 son cƓur tressaille soudain
 l’eau tremble et la fenĂȘtre se referme. Il s’éloigna doucement de l’étang et observa la maison les volets mornes Ă©taient ouverts ; les vitres Ă©tincelaient aux rayons de la lune. VoilĂ  comment il faut ajouter foi aux racontars des gens, pensa-t-il. La maison est toute neuve les couleurs sont aussi vives que si elle Ă©tait peinte d’hier. Elle est habitĂ©e. » Et, silencieux, il se rapprocha. Mais, dans la maison, tout Ă©tait calme. Les chants Ă©clatants des rossignols se rĂ©pondaient avec force et sonoritĂ© ; et, quand ils semblaient expirer dans la langueur et l’abandon, on entendait le frĂŽlement et le crĂ©pitement des grillons ou le gloussement de l’oiseau des marrais frappant de son bec poli le large miroir des eaux. Une paix douce et une joie dĂ©bordante s’emparĂšrent du cƓur de Levko. Il accorda sa bandoura et chanta en s’accompagnant Ô lune, petite lune ! Et toi, aube blanche ! Projetez votre lumiĂšre lĂ  OĂč est la belle fille. La fenĂȘtre s’ouvrit et la mĂȘme tĂȘte mignonne, dont il avait vu l’image dans l’étang, regarda en Ă©coutant attentivement la chanson. De longs cils voilaient Ă  demi le regard ; elle Ă©tait toute pĂąle comme un linge, comme la lueur de la lune. Mais qu’elle Ă©tait merveilleuse ! qu’elle Ă©tait belle ! Elle se mit Ă  rire. Levko tressaillit. — Chante-moi quelque chose, jeune Cosaque ! — dit-elle en penchant la tĂȘte de cĂŽtĂ© et en baissant complĂštement ses longs cils. — Quelle chanson faut-il te chanter ? ma radieuse enfant. Des larmes coulĂšrent doucement sur le visage de la jeune fille. — Parobok, dit-elle, — et quelque chose d’un touchant inexprimable rĂ©sonnait dans ses paroles, — Parobok, trouve-moi ma marĂątre, Je ne te refuserai rien ; je te rĂ©compenserai ; je te rĂ©compenserai largement et richement. J’ai des manchettes de soie brodĂ©es ; j’ai du corail, des colliers. Je te ferai cadeau d’une ceinture ornĂ©e de brillants. J’ai de l’or
 Parobok, trouve-moi ma marĂątre. C’est une terrible sorciĂšre ; je n’ai pas eu de repos sur la terre Ă  cause d’elle. Elle me torturait ; elle me forçait Ă  travailler comme une simple moujitchka. Regarde mon visage ! elle a terni la couleur de mes joues par ses sorcelleries impures. Regarde mon cou blanc, les bleus qu’y ont faits ses griffes de fer ne s’effacent plus, ne s’effaceront jamais. Regarde mes pieds blancs ; ils ont beaucoup marchĂ©, mais pas sur des tapis, sur le sable brĂ»lant, sur la terre humide, sur les pierres, ils ont marchĂ© ! Et mes yeux ! regarde mes yeux ils sont Ă©teints sous les larmes. Trouve-la, Parobok, trouve la marĂątre ! Sa voix, qui tout Ă  coup s’était Ă©levĂ©e, se tut. Des torrents de larmes coulĂšrent sur son visage pĂąle. Un sentiment pĂ©nible, plein de pitiĂ© et de tristesse, oppressa la poitrine du jeune homme. — Je suis prĂȘt Ă  tout pour toi, ma belle, dit-il avec Ă©motion, mais comment ? oĂč la trouver ? — Regarde, regarde, fit-elle vivement, elle est ici ; elle passe sur la rive mĂȘlĂ©e Ă  mes jeunes filles ; elle se chauffe aux rayons de la lune ; mais elle est malicieuse et rusĂ©e. Elle s’est transformĂ©e en noyĂ©e ; mais je sais, je sens qu’elle est ici. Elle m’oppresse, elle m’étouffe. Je ne puis pas, Ă  cause d’elle, nager librement et lĂ©gĂšrement comme un oiseau. Je plonge et je tombe au fond comme une pierre. Trouve-la, Parobok. Levko regarda vers la rive. Dans le brouillard argentĂ© flottaient les jeunes filles, lĂ©gĂšres comme des ombres, en blanches chemises, comme une prairie semĂ©e de muguets. Des colliers de piĂšces d’or Ă©tincelaient Ă  leur cou ; mais elles Ă©taient pĂąles ; leurs corps Ă©taient formĂ©s de nuages diaphanes et Ă©taient comme traversĂ©s par les rayons d’argent de la lune. Leur ronde, en jouant, se rapprochait de lui ; il entendait leurs voix. — Allons jouer au corbeau ! Jouons au corbeau ! — bruissent-elles comme les roseaux de la rive touchĂ©s Ă  l’heure calme du crĂ©puscule par les lĂšvres aĂ©riennes du vent. — Et qui sera le corbeau ? On tira au sort et une jeune fille sortit de la foule. Levko se mit Ă  l’examiner. Son visage, ses vĂštements ne la distinguaient pas des autres. On remarquait seulement qu’elle remplissait malgrĂ© elle ce rĂŽle. La foule s’est dispersĂ©e pour Ă©chapper aux atteintes de l’ennemi rapace. — Non ! je ne veux pas ĂȘtre le corbeau, dit la jeune fille Ă©puisĂ©e, il me rĂ©pugne d’enlever les poussins Ă  leurs pauvres mĂšres. — Tu n’es pas la sorciĂšre ! pensa Levko. — Qui sera donc le corbeau ? Les jeunes filles se rĂ©unirent de nouveau pour tirer au sort. — C’est moi qui serai le corbeau ! fit l’une d’elles en s’avançant. Levko se mit Ă  l’examiner attentivement. Rapide et ardente, elle poursuivait la bande des jeunes filles et se jetait Ă  droite et Ă  gauche pour saisir sa victime. Levko, alors remarqua que son corps n’était pas aussi transparent que les autres. Il s’y voyait Ă  l’intĂ©rieur quelque chose de noir. Tout Ă  coup, un cri retentit le corbeau se prĂ©cipite sur une des noyĂ©es, la saisit et Levko croit apercevoir des griffes, tandis que sur son visage Ă©clatait une joie mĂ©chante. — La sorciĂšre ! cria-t-il, en la dĂ©signant brusquement du doigt et en se tournant vers la maison. La jeune fille eut un rire joyeux et les noyĂ©es entraĂźnĂšrent au milieu des cris celle qui reprĂ©sentait le corbeau. — Comment te rĂ©compenser, Parobok ? — Je sais que ce n’est pas de l’or qu’il te faut. Tu aimes Hanna ; mais ton bourru de pĂšre t’empĂȘche de l’épouser. DĂ©sormais il ne t’en empĂȘchera pas. Prends ce billet et remets-le lui. La petite main blanche s’allongea ; le visage s’éclaira et brilla d’un merveilleux Ă©clat. Avec un frĂ©missement indĂ©finissable et un battement dĂ© son cƓur anxieux, Levko saisit le billet et

 se rĂ©veilla. CHAPITRE VIRÉVEIL — Dormai-je donc ? se dit Levko en se levant. Tout Ă©tait pourtant si rĂ©el, si vivant !
 c’est Ă©trange ! Ă©trange ! rĂ©pĂ©ta-t-il en regardant autour de lui. La lune, qui Ă©tait rayonnante au-dessus de sa tĂȘte, indiquait minuit. Partout le silence. Un froid montait de l’étang, aux bords duquel se dressait tristement la vieille maison aux volets clos. La mousse et l’herbe sauvage tĂ©moignaient de son long abandon. Il dĂ©tendit alors sa main qui s’était crispĂ©e pendant son sommeil et jeta un cri de surprise en y dĂ©couvrant le billet. — Oh ! si je savais lire ! pensa-t-il en le tournant en tous sens. À ce moment, il entendit du bruit derriĂšre lui. — Courage ! empoignez-le ! Pourquoi craindre ? nous sommes dix, et c’est un homme et non un diable ! Ainsi criait le bailli Ă  ses compagnons. Et Levko se sentit apprĂ©hendĂ© par plusieurs mains dont quelques-unes tremblaient de peur. — Ôte donc, ami, ton masque effrayant ; c’est assez se moquer du monde, dit le bailli en le prenant au collet, et s’arrĂȘtant stupĂ©fait aprĂšs avoir fixĂ© sur lui son Ɠil unique. Levko ! mon fils ! » continua-t-il en se rejetant en arriĂšre d’étonnement et en laissant tomber ses bras. — C’est toi, fils de chien ! — voyez-vous cette satanĂ©e engeance ! moi qui me disais Quelle est donc cette canaille, ce diable de touloupe retournĂ© qui fait toutes ces farces ? Et il se trouve que c’est toi ! — puisse ton pĂšre, en avaler sa soupe de travers. Toi qui t’avises de mettre la rue sens dessus dessous et de fabriquer des chansons !
 HĂ© ! hĂ© ! hĂ© ! Levko ! qu’est-ce qui t’a pris ? Il paraĂźt que le dos te dĂ©mangeait. Liez-le ! — Attends, pĂšre ; on m’a ordonnĂ© de te remettre ce billet, fit Levko. — Il n’y a pas de billet qui tienne, mon pigeon. Liez-le. — ArrĂȘte, maĂźtre bailli, interrompit le scribe, en dĂ©pliant le papier, c’est l’écriture du commissaire ! — Du commissaire ? — Du commissaire ? rĂ©pĂ©taient machinalement les dizainiers. Du commissaire ! c’est Ă©trange ! c’est Ă  n’y plus rien comprendre du tout », pensa Levko. — Lis ! lis ! dit le bailli, que peut-il bien Ă©crire, le commissaire ? — Écoutons ce qu’écrit le commissaire, fit le distillateur en tenant sa pipe entre les dents et en battant le briquet. Le scribe toussota et lut Ordre au bailli Yevtoukh Makogonenko. » Il est arrivĂ© Ă  notre connaissance que toi, vieil imbĂ©cile, au lieu de faire rentrer les impĂŽts arriĂ©rĂ©s et de veiller Ă  l’ordre dans le village, tu perds la tĂȘte et commets toute espĂšce de sottises. » — Mais pardon ! je n’entends rien. Le scribe recommença Ordre au bailli Yevtoukh Makogonenko. » Il est arrivĂ© Ă  notre connaissance que toi, vieil imbé  — Assez, assez ! — c’est inutile ! — s’écria le bailli. Quoi que je n’aie rien entendu, je sais cependant que tout cela n’est qu’un prĂ©ambule. Lis plus loin. En consĂ©quence, je t’ordonne de marier tout de suite ton fils Levko avec la Cosaque de votre village Hanna Petrytchenko et, aussi, de faire rĂ©parer les ponts sur la grand’route et de ne pas livrer les chevaux de rĂ©quisition, sans m’en avoir rĂ©fĂ©rĂ©, Ă  ces messieurs de la justice, mĂȘme s’ils venaient directement du palais. Et, si Ă  mon arrivĂ©e, je ne trouve pas cet ordre exĂ©cutĂ©, c’est Ă  toi seul que je m’en prendrai. — SignĂ© le commissaire, lieutenant en retraite, Kozma Derkatch-Drichpanovski. » — VoilĂ , dit le bailli, la bouche grande ouverte ; entendez-vous ! entendez-vous ! Toutes ces mesures, c’est le bailli qui en rĂ©pondra. Donc, qu’on m’obĂ©isse ! qu’on m’obĂ©isse sans mot dire ! sinon, gare
 Quant Ă  toi, continua-t-il en s’adressant Ă  Levko, quoiqu’il me paraisse Ă©trange que la chose soit arrivĂ©e jusqu’à lui, — je te marie. Seulement, tu goĂ»teras tout d’abord du knout ; tu sais, celui qui est suspendu chez moi au mur prĂšs des ikĂŽnes. Tu l’étrenneras demain. OĂč as-tu pris ce billet ? Levko, malgrĂ© la stupeur qu’il Ă©prouvait de la tournure prise par son affaire, eut le bon sens de rouler dans sa tĂȘte une autre rĂ©ponse et de cacher la vĂ©ritable origine du billet. — J’étais sorti hier soir, je m’étais rendu en ville et j’ai rencontrĂ© le commissaire qui descendait de voiture. En apprenant que je suis de ce village, il me remit ce billet et m’ordonna de t’apprendre de vive voix, pĂšre, qu’à son retour, il viendra dĂźner chez nous. — Il te l’a dit ? — Il me l’a dit. — Entendez-vous ? dit le bailli avec importance en s’adressant Ă  ses compagnons. Le commissaire, en personne, viendra chez nous, c’est-Ă -dire, chez moi, dĂźner ! Oh !
 et le bailli Ă©leva son index et inclina la tĂȘte comme quelqu’un qui Ă©coute le commissaire ! — Entendez-vous, le commissaire viendra chez moi ! Qu’en penses-tu, maĂźtre scribe ? et loi, compĂšre ? Ce n’est pas un petit honneur, n’est-ce pas ? — Autant que je me souviens, surenchĂ©rit le scribe, jamais bailli ne reçut Ă  dĂźner un commissaire. — Il y a bailli et bailli — fit le bailli en se rengorgeant ; sa bouche se contracta et quelque chose comme un rire pĂ©nible et enrouĂ©, ressemblant plutĂŽt Ă  un grondement lointain de tonnerre, retentit sur ses lĂšvres. — Qu’en penses-tu ? maĂźtre scribe, il faudrait pour un pareil hĂŽte donner ordre que, de chaque khata, on apporte au moins un jeune poulet, et puis de la toile et quelque chose encore
 Hein !
 — Il faudrait, il faudrait, maĂźtre bailli. — Et Ă  quand la noce, pĂšre ? demanda Levko. — La noce ! Je t’en donnerai de la noce
 Mais, en l’honneur d’un hĂŽte de cette importance, demain le pope vous mariera. Allez au diable !
 que le commissaire voie ce que c’est que l’exactitude ! Et maintenant, enfants, allons dormir
 rentrez chez vous, l’évĂ©nement de cette nuit me rappelle le temps oĂč je
 À ces mots, le bailli lança le regard en dessous que l’on sait, important et significatif. — Allons ! maintenant le bailli va raconter comment il a escortĂ© la Czarine, dit Levko, et, Ă  pas rapides, tout joyeux, il se hĂąta vers la khata aux cerisiers nains que nous connaissons. — Que Dieu te donne le royaume des Cieux ! bonne et belle demoiselle, pensait-il. Que tout te sourie Ă©ternellement dans l’autre monde parmi les saints anges ! Je ne rapporterai Ă  personne l’intervention miraculeuse qui s’est produite cette nuit. À toi seule, Halia ! je le dirai. Toi seule tu y ajouteras foi et tu prieras pour le repos de l’ñme de la malheureuse noyĂ©e. Il s’approcha de la khata. La fenĂȘtre Ă©tait ouverte. Les rayons de la lune l’inondaient et Ă©clairaient Hanna endormie. Sa tĂȘte Ă©tait appuyĂ©e sur sa main ; ses joues Ă©taient animĂ©es d’une douce rougeur ; ses lĂšvres s’agitaient en murmurant le nom de Levko. — Dors, ma toute belle ! rĂȘve Ă  ce qu’il y a de meilleur dans le monde ; tout cela ne vaudra pas notre rĂ©veil ! Et, aprĂšs avoir tracĂ© dans l’air un signe de croix, il ferma la fenĂȘtre et s’éloigna sans bruit. Quelques instants plus tard, tout Ă©tait endormi dans le village. Seule la lune flottait aussi Ă©clatante et aussi merveilleuse dans le dĂ©sert immense du splendide ciel d’Ukraine. La mĂȘme solennitĂ© planait sur les hauteurs et la nuit, la nuit divine, s’éteignait majestueusement. La terre n’était pas moins belle dans la splendeur de la lumiĂšre argentĂ©e ; mais personne pour admirer ! Tout Ă©tait plongĂ© dans le sommeil. À de rares intervalles, seulement, le silence Ă©tait rompu par l’aboiement des chiens et, longtemps encore, l’ivrogne Kalenik erra par les rues en cherchant sa khata. HISTOIRE VRAIE RacontĂ©e par le sacristain de l’église de ***. Phoma Grigorievitch avait une bizarrerie Ă  lui il n’aimait pas Ă  raconter toujours la mĂȘme chose. Si parfois, Ă  force d’obsessions, on le dĂ©cidait Ă  rĂ©pĂ©ter une histoire qu’il nous eĂ»t dĂ©jĂ  fait entendre, vous pouviez ĂȘtre sĂ»r, alors, qu’il y ajoutait une version nouvelle ou qu’il la transformait de telle sorte que les deux rĂ©cits n’avaient plus entre eux aucune ressemblance. Un jour, un de ces messieurs de ceux que nous autres, simples gens, il nous est difficile de dĂ©finir sont-ce des Ă©crivains ou des Ă©crivailleurs ? mais enfin pareils Ă  ces saltimbanques de foire, qui quĂ©mandent, grapillent, volent de ci de lĂ  toutes sortes de choses, pour nous les servir ensuite en petits feuillets au mois ou Ă  la semaine, un de ces messieurs apprit cette histoire de Phoma Grigorievitch qui, depuis, l’a lui-mĂȘme oubliĂ©e. Mais voilĂ  que prĂ©cisĂ©ment arrive de Pultava ce jeune barine en cafetan couleur petits pois dont je vous ai une fois parlĂ© ; peut-ĂȘtre mĂȘme avez-vous dĂ©jĂ  lu son rĂ©cit ; il apporte avec lui un petit livre et nous le montre en l’ouvrant au milieu. Phoma Grigorievitch s’apprĂȘte Ă  enfourcher ses lunettes sur son nez, puis se souvenant qu’il a oubliĂ© de les consolider avec du fil et de la cire, il me passe le livre. Moi qui sais lire tant bien que mal et qui n’ai pas besoin de lunettes, je me mets Ă  faire la lecture tout haut. À peine ai-je tournĂ© deux pages que tout Ă  coup Phoma m’arrĂȘte par le bras. — Un instant ! Dites-moi avant tout ce que vous lisez. J’avoue que j’étais stupĂ©fait d’une telle question. — Comment ce que je lis, Phoma Grigorievitch, mais c’est votre histoire, ce sont vos propres paroles. — Qui vous a dit que ce sont mes propres paroles ? — Il n’y a pas Ă  en douter ; c’est mĂȘme imprimĂ© racontĂ© par un tel
 sacristain. — Eh bien ! crachez-lui sur la figure, Ă  celui qui a imprimĂ© cela. Il ment, ce fils de chien ! ce Moscovite ! Est-ce de cette maniĂšre que j’aurais racontĂ© cette histoire ? Il faudrait avoir une araignĂ©e dans la tĂȘte ! Écoutez plutĂŽt, je vais vous la raconter telle qu’elle est. Nous nous approchĂąmes de la table et il commença. Mon grand-pĂšre Dieu ait son Ăąme ! Qu’il ne mange dans l’autre monde que des petits pains au lait et des gĂąteaux de miel mon grand-pĂšre savait trĂšs bien raconter. Quand une fois il s’était mis en train, on n’aurait pas bougĂ© de sa place d’une journĂ©e pour l’écouter. Ce n’était pas un de ces hĂąbleurs d’aujourd’hui qui cherchent Ă  vous en imposer et traĂźnent leurs rĂ©cits avec une langue pĂąteuse, comme s’ils n’avaient pas mangĂ© depuis trois jours ; c’est Ă  saisir son bonnet et Ă  se sauver. Ma vieille mĂšre Ă©tait alors encore de ce monde ; et, aussi bien que si c’était maintenant, je me souviens que, par une longue soirĂ©e d’hiver oĂč la gelĂ©e crĂ©pitait au dehors et murait l’étroite fenĂȘtre de notre chaumiĂšre, elle Ă©tait assise en tenant sa quenouille, d’une main Ă©tirant le long fil, et, avec son pied, faisant mouvoir le berceau tout en fredonnant une chanson que je crois toujours entendre. La chambre Ă©tait Ă©clairĂ©e par un lampion qui tremblait et qui, par instants, se ravivait tout Ă  coup comme s’il eĂ»t pris peur de quelque chose ; le rouet bourdonnait ; et nous tous, enfants, tassĂ©s en un petit groupe, nous Ă©coutions le grand-pĂšre qui, Ă  cause de sa vieillesse, depuis plus de cinq ans ne descendait pas du poĂȘle [45]. Tout merveilleux que fussent ses beaux rĂ©cits du vieux temps sur les invasions des Zaporogues, sur les Polonais, les grands exploits de Podkova, de SagaĂŻdatchny[46], aucun ne nous intĂ©ressait autant qu’une de ces vieilles lĂ©gendes qui vous donnent des frissons dans tout le corps et vous font dresser les cheveux sur la tĂȘte. Parfois une telle peur vous envahit, que vers le soir vous croyez voir un monstre dans le moindre objet. Quand il m’arrivait d’ĂȘtre obligĂ© de sortir de ma chambre pendant la nuit, je ne faisais que penser Pourvu que quelque revenant ne vienne pas se coucher sur mon lit ! Et que je meure ! si je ne prenais pas ma propre svitka, posĂ©e du cĂŽtĂ© de la tĂȘte, pour un diable recroquevillĂ© !
 Mais ce qui Ă©tait surtout Ă  considĂ©rer dans le rĂ©cit du grand-pĂšre, c’est que de toute sa vie, il ne mentait jamais ; et ce qu’il racontait Ă©tait rĂ©ellement arrivĂ© tel quel. C’est une de ces histoires extraordinaires que je vais vous narrer Ă  l’instant. Je sais qu’il se trouve beaucoup de ces raisonneurs, Ă©crivains publics, sachant mĂȘme lire les caractĂšres laĂŻques[47] Ă  qui, cependant, vous ne pourriez mettre entre les mains un simple brĂ©viaire vu qu’ils n’y comprendraient rien ; mais, pour rire de vous, exhiber leurs dents Ă  leur propre honte, cela, ils le savent. Tout ce que vous leur racontez est sujet Ă  rire. VoilĂ  Ă  quel point l’incrĂ©dulitĂ© s’est rĂ©pandue dans le monde ! Ainsi, le croiriez-vous Dieu et la sainte Vierge me renient, si cela n’est pas, un jour, je parlais de sorciĂšres devant des gens et, parmi eux, il s’est trouvĂ© un luron qui ne croyait pas aux sorciĂšres ! Oui, je puis le dire, j’en ai rencontrĂ© dans ma vie de ces incrĂ©dules, Ă  qui il coĂ»te moins de mentir Ă  confesse qu’à nous autres de prendre une prise de tabac. À ceux-lĂ , naturellement, les sorciĂšres n’ont jamais fait peur. Mais qu’il se dresse tout Ă  coup devant eux
 je tremble mĂȘme de dire quoi
 au fait, inutile de s’occuper de ces gens-lĂ . Il y a de cela plus de cent ans, disait mon dĂ©funt grand-pĂšre, personne n’aurait pu reconnaĂźtre notre village un hameau, le plus pauvre des hameaux ! Une dizaine de chaumiĂšres pas mĂȘme blanchies Ă  la chaux, mal couvertes, se dressaient çà et lĂ  au milieu du champ. Pas de haies, pas de hangars suffisamment abritĂ©s pour le bĂ©tail ou les charrettes ; et encore Ă©taient-ce les riches qui habitaient ces demeures ; si vous nous aviez vus, nous autres pauvres ! un trou creusĂ© dans la terre, voilĂ  notre chaumiĂšre Ă  nous ! Par la fumĂ©e, seulement, on pouvait reconnaĂźtre qu’un ĂȘtre humain vivait lĂ . Vous me demanderez peut-ĂȘtre pourquoi il en Ă©tait ainsi ? Ce n’était pas prĂ©cisĂ©ment par pauvretĂ©, puisque dans ce temps presque tous faisaient les libres Cosaques et allaient ramasser des biens Ă  l’étranger, mais plutĂŽt parce qu’on trouvait inutile de construire de meilleures demeures. Et quel monde n’y voyait-on pas marauder ? Des Tartares, des Polonais, des Lithuaniens ! Des Ukraniens mĂȘme venaient en bandes pour dĂ©valiser les leurs. Tout arrivait ! Donc, dans ce hameau apparaissait souvent un homme ou plutĂŽt un diable sous la figure d’un homme. D’oĂč venait-il ? pourquoi venait-il ? personne ne le savait. Il faisait la noce, il s’enivrait ; puis, subitement, il disparaissait comme sous terre et l’on n’entendait plus parler de lui. Tout Ă  coup, de nouveau, il semblait tomber du ciel, parcourait les rues du village dont il ne reste mĂȘme plus de traces. Il ramassait sur sa route les Cosaques qu’il rencontrait ; et alors c’étaient des rires, des chansons ; il semait l’argent et l’eau-de-vie coulait comme de l’eau !
 Il bombardait les jeunes filles de cadeaux rubans, boucles d’oreilles, colliers de sequins Ă  ne savoir qu’en faire. Il faut dire cependant que les jeunes filles hĂ©sitaient Ă  les accepter. — Qui sait ! peut-ĂȘtre Ă©taient-ils passĂ©s par les mains du Malin. La tante de mon grand-pĂšre tenait alors sur la route un cabaret oĂč souvent noçait Basavriouk c’est ainsi l’on appelait ce diable d’homme et elle disait que, pour rien au monde, elle ne consentirait Ă  accepter de lui le moindre cadeau. Et pourtant, comment ne pas accepter quand on voyait Basavriouk froncer ses sourcils drus et lancer en dessous un tel regard que l’on se serait sauvĂ© Ă  mille lieues ; mais si on se laissait tenter et que l’on prĂźt le cadeau, la mĂȘme nuit quelque ĂȘtre du marais, les cornes sur la tĂȘte, venait vous visiter et se mettait Ă  vous serrer le cou, s’il Ă©tait ornĂ© du collier de sequins, ou Ă  vous mordre le doigt qui portait la bague, ou Ă  tirer la natte, si le ruban y Ă©tait attachĂ©. Alors vous comprenez ! merci de ces cadeaux ! Seulement, voilĂ  le malheur ; c’est qu’il Ă©tait mĂȘme impossible de s’en dĂ©faire on le jetait Ă  l’eau, le diable de collier ou d’anneau surnageait et revenait de lui-mĂȘme se remettre Ă  sa place. Dans ce village, se trouvait une Ă©glise dĂ©diĂ©e, je crois, Ă  saint PantalĂ©on. Le curĂ© du presbytĂšre, le pĂšre Athanase, de sainte mĂ©moire ! ayant remarquĂ© que Basavriouk, mĂȘme le dimanche de PĂąques, ne venait pas Ă  l’église, voulut le gourmander et lui imposer une pĂ©nitence. Eh bien ! c’est Ă  peine s’il eut le temps de se sauver. — Écoute, mon bonhomme, gronda Basavriouk comme rĂ©ponse, mĂȘle-toi de tes affaires et non de celles des autres, si tu ne veux pas qu’on te bouche la gueule avec de la bouillie chaude. Que vouliez-vous faire avec ce maudit ! Le pĂšre Athanase se contenta de dĂ©clarer que celui qui aurait le moindre point de contact avec Basavriouk serait considĂ©rĂ© comme l’ennemi de l’Eglise orthodoxe et de tout le genre humain. Dans ce mĂȘme village vivait, chez un Cosaque du nom de Korje, un domestique que les gens appelaient Petre, le sans-famille, peut-ĂȘtre parce qu’il ne se souvenait plus ni de son pĂšre ni de sa mĂšre. Le marguillier disait, il est vrai, qu’ils Ă©taient morts de la peste l’annĂ©e qui avait suivi la naissance de Petre ; mais mon arriĂšre-grand’tante n’en voulait rien croire, et elle s’efforçait de trouver de tous cĂŽtĂ©s des parents Ă  Petre, bien que celui-ci s’en souciĂąt aussi peu que nous autres de la neige d’antan. Elle disait que le pĂšre de Petre, actuellement dans le pays des Zaporogues, avait Ă©tĂ© jadis prisonnier chez les Turcs, oĂč il avait souffert des tortures Ă©pouvantables et n’était parvenu Ă  s’échapper presque miraculeusement qu’en se travestissant en eunuque. Qu’importait d’ailleurs la parentĂ© de Petre ! Les jeunes filles s’en inquiĂ©taient fort peu. Elles disaient seulement que, si on l’habillait d’un cafetan neuf, d’une ceinture rouge autour des reins, qu’on lui mĂźt sur la tĂȘte un bonnet d’astrakan terminĂ© au faĂźte par une Ă©lĂ©gante calotte en velours bleu, un sabre turc au cĂŽtĂ©, une jolie pipe ornĂ©e d’arabesques Ă  la main, il enfoncerait tous les garçons du pays ; mais le malheur Ă©tait que le pauvre Petrus n’avait pour tout bien qu’un maigre cafetan gris percĂ© de plus de trous qu’un Juif n’a d’écus dans sa poche. AprĂšs tout, ce n’eĂ»t pas Ă©tĂ© lĂ  un malheur irrĂ©parable. La vraie misĂšre la voici MaĂźtre Karja avait une fille, une beautĂ© telle qu’il ne vous a pas Ă©tĂ© encore donnĂ©, je crois, d’en voir de pareille. Ma grand’tante disait et vous savez, — sauf votre respect, — qu’on ferait plutĂŽt embrasser le diable Ă  une femme que de lui faire avouer qu’une autre femme est belle, ma grand’tante disait que les joues de la jeune Cosaque en question Ă©taient aussi Ă©clatantes de fraĂźcheur que la fleur d’un coquelicot du rose le plus tendre, alors que, lavĂ©e par la lĂ©gĂšre rosĂ©e du matin, coquette, elle flamboie, Ă©tend ses pĂ©tales et se pavane aux rayons du soleil levant ; elle comparait ses sourcils noirs, ombrageant ses yeux limpides comme, s’ils eussent voulu s’y mirer, aux cordons fins que les jeunes filles achĂštent aux Moscovites ambulants pour suspendre au cou leurs croix et leurs mĂ©dailles ; sa bouche, que les jeunes garçons ne pouvaient regarder sans se pourlĂ©cher, semblait comme créée pour ne faire retentir que des chansons de rossignol. Ses cheveux, noirs comme le plumage du corbeau et souples comme du lin alors les jeunes filles ne les nouaient pas en nattes ; elles les laissaient pendants en les enlaçant de jolis rubans Ă©carlates, ses cheveux tombaient en boucles par derriĂšre sur son kountouch[48] brodĂ© d’or, et que je ne chante plus jamais un seul alleluia dans le chƓur, si, moi-mĂȘme, en la voyant ainsi, je ne m’étais laissĂ© aller Ă  l’embrasser, malgrĂ© les cheveux blancs qui se faufilent dans la vieille forĂȘt qui couvre mon crĂąne et ma vieille qui ne me quitte pas plus qu’une taie sur l’Ɠil. Or, lĂ  oĂč une fille et un garçon vivent cĂŽte Ă  cĂŽte, vous savez vous-mĂȘme ce qui arrive souvent Ă  l’aube on dĂ©couvrait l’empreinte des talons ferrĂ©s des bottes rouges de Pidarca Ă  la place oĂč elle conversait avec son Petrus. Cependant Korje n’aurait eu aucun soupçon, mais voilĂ  qu’un jour probablement le Malin le poussait Petrus, Ă©tourdiment, apposa de tout son cƓur un baiser retentissant sur les lĂšvres roses de la Cosaque, et, probablement aussi, le mĂȘme Malin que ce fils de chien voie la sainte croix en rĂȘve ! fit que le vieux raifort ouvrit au mĂȘme instant la porte sur le vestibule. Korje pĂ©trifiĂ©, bouche bĂ©ante, prĂȘt Ă  tomber de surprise, se raccrocha de la main Ă  la porte. Ce maudit baiser semblait l’ahurir complĂštement ; il l’entendait retentir Ă  son oreille comme une grondement de tonnerre. Revenu Ă  lui, il prit au mur le knout de son grand-pĂšre et s’apprĂȘtait dĂ©jĂ  Ă  en rĂ©galer le dos du pauvre Petre, quand, tout Ă  coup, Yvas, le frĂšre de Pidarca, jeune garçonnet de six ans, accourut, et tout effrayĂ©, entourant de ses petites mains la jambe de son pĂšre, se mit Ă  crier PĂšre ! PĂšre ! Ne frappe pas PĂ©trus. » — Que faire ! le cƓur d’un pĂšre n’est pas de pierre. AprĂšs avoir raccrochĂ© le knout au mur, Korje mit doucement Petre Ă  la porte — Si jamais tu reparais devant ma maison ou mĂȘme sous mes fenĂȘtres, tu risques de perdre tes moustaches noires, et que je ne m’appelle plus Korje, si les oceledets[49] qui font deux fois le tour de tes oreilles ne disent pas adieu Ă  ton crĂąne. Le lĂ©ger coup sur la nuque dont il accompagna ces mots, projeta PĂ©trus hors de la maison comme une pierre sans toucher terre. Ainsi finit l’embrassade. Le chagrin s’empara de nos tourtereaux. PrĂ©cisĂ©ment on commençait Ă  dire dans le village qu’un certain Polonais prenait l’habitude de visiter Korje. C’était un homme tout chamarrĂ© d’or, moustachu, avec un sabre, des Ă©perons, des poches qui rĂ©sonnaient comme l’aumĂŽniĂšre avec laquelle notre bedeau Taras fait la quĂȘte dans les rangs Ă  l’église. Eh bien ! on sait pour quelle raison un homme frĂ©quente la maison d’un pĂšre qui a une jolie fille aux sourcils noirs. VoilĂ  qu’un jour, Pidarca tout en larmes prit dans ses bras son jeune frĂšre Ivas et lui dit — Ivas, mon chĂ©ri ! Ivas, mon adorĂ© ! cours chez Petrus, mon trĂ©sor, comme une flĂšche, raconte-lui ce qui se passe ; dis-lui que j’aimerais toujours ses yeux bruns, que j’embrasserais toujours son visage blanc, mais ma destinĂ©e ne le veut pas. J’ai mouillĂ© plus d’un mouchoir de mes larmes brĂ»lantes, le chagrin est comme un poids sur mon cƓur, mon propre pĂšre devient mon ennemi ; il me force Ă  Ă©pouser un Polonais que je ne puis aimer. Dis-lui qu’on fait dĂ©jĂ  les prĂ©paratifs pour la noce, seulement il n’y aura pas de musique ; les sacristains seuls chanteront au lieu de kobza[50] et de fifres. Je ne danserai pas avec mon fiancĂ©. On m’emportera, ma chambre sera sombre ! sombre ! Ses cloisons seront de bois blanc, et au lieu d’une cheminĂ©e, c’est une croix qui se dressera sur son toit. TerrifiĂ©, sans bouger de place, PĂ©trus Ă©couta l’innocent enfant lui rĂ©pĂ©ter les paroles de Pidarca. — Et moi, malheureux, dit-il, qui pensais aller en CrimĂ©e et dans la Turquie pour batailler, amasser de l’or et revenir riche auprĂšs de toi, ma beautĂ© !
 le sort, hĂ©las ! en dĂ©cide autrement. C’est un mauvais Ɠil qui nous a jetĂ© un sortilĂšge. Eh bien ! moi aussi, ma colombe ! moi aussi, j’aurai une noce, seulement il n’y aura mĂȘme pas de sacristain Ă  mon mariage. Le corbeau noir croassera au-dessus de moi au lieu du pope ; le vaste champ sera ma demeure, le nuage gris sera mon toit, l’aigle, de son bec, videra mes yeux, la pluie lavera les os du Cosaque, le vent les sĂšchera ! Mais que dis-je lĂ  ? De qui me plaindre ? Ă  qui me plaindre. Dieu l’a voulu ainsi, que cela soit ! Et droit, il s’en alla au cabaret. Ma grand’tante fut un peu Ă©tonnĂ©e de voir Petrus dans le cabaret, surtout au moment oĂč tout homme un peu rangĂ© est Ă  la messe du matin. Elle ouvrit ses yeux tout grands, comme si elle venait seulement de s’éveiller, quand il lui demanda une cruche d’eau-de-vie mesurant presque un demi-seau, C’est en vain que le malheureux pensait noyer son chagrin. L’eau-de-vie lui produisait sur la langue le mĂȘme effet que des piqĂ»res d’orties et lui semblait plus amĂšre que l’absinthe. Il jeta la cruche par terre. — Cesse de te chagriner, Cosaque, gronda tout Ă  coup derriĂšre lui une voix de basse. Petrus se retourna c’était Basavriouk. Quel masque ! les cheveux comme du crin ! les yeux, des yeux de bƓuf ! — Je sais ce qu’il te manque, dit-il, voilĂ  quoi ! Et alors, avec un sourire diabolique, il fit rĂ©sonner la bourse en cuir pendue Ă  sa ceinture. Petro tressaillit. — HĂ© ! hĂ© ! comme ça brille !
 ricanait-il en versant en pluie, d’une main dans l’autre, les Ă©cus qu’il avait tirĂ©s de sa bourse, HĂ© ! HĂ© ! HĂ© ! comme ça sonne ! Et cependant, pour tout un tas de ces jouets, je ne te demanderai qu’un seul service. — Donne, diable, s’écria Petro, je suis prĂȘt Ă  tout. Ils se tapĂšrent mutuellement dans la main. — Attention, Petro ! tu viendras au moment convenu. C’est demain la Saint-Jean — c’est dans cette seule nuit de l’annĂ©e que la fougĂšre fleurit. Ne laisse pas Ă©chapper l’occasion. Je t’attendrai cette nuit dans le FossĂ© de l’ours. Je crois que les poules n’attendent pas la fermiĂšre qui leur apporte du grain avec plus d’impatience que Petrus n’attendit le soir. Il ne faisait que regarder si l’ombre des arbres ne s’allongeait pas, si le soleil couchant ne prenait pas son Ă©clat pourpre, et chaque minute augmentait sa fiĂšvre. — Que le temps est long ! VoilĂ , cependant, le soleil disparu ! Le ciel n’est plus rouge que sur un point de l’horizon ; mais lĂ  aussi s’éteint la lumiĂšre. La fraĂźcheur s’élĂšve des champs. Il se fait sombre, plus sombre encore ; il fait nuit ! Enfin !
 Le cƓur bondissant d’émotion comme s’il allait Ă©clater dans sa poitrine, Petrus, traversant la forĂȘt, descendit dans le ravin profond qu’on appelle le FossĂ© de l’ours. Basavriouk l’y attendait. La nuit Ă©tait aussi profonde que dans un souterrain. Bras dessus, bras dessous, les deux compagnons pataugeaient dans les marĂ©cages en se raccrochant aux buissons Ă©pineux et drus, et butaient presque Ă  chaque pas. Ils Ă©taient enfin arrivĂ©s Ă  un endroit uni. Petre regarda autour de lui. Jamais encore il ne s’était hasardĂ© dans ce lieu. Basavriouk s’arrĂȘta aussi. — Devant toi, n’est-ce pas, demanda-t-il, tu vois trois monticules ? Il va soudain y croĂźtre mille fleurs diffĂ©rentes. Qu’aucune volontĂ© au monde ne te pousse Ă  en toucher une seule ! Mais aussitĂŽt que la fougĂšre fleurira, arrache sa fleur, et ne regarde pas derriĂšre toi, malgrĂ© tout ce qui pourra arriver. PĂ©trus voulait encore questionner, mais dĂ©jĂ  Basavriouk avait disparu. Petre, alors, s’avança vers les trois monticules ; aucun n’avait ni fleurs, ni mĂȘme trace de fleurs ; seule, l’herbe sauvage les couvrait de sa noire Ă©paisseur. Soudain, l’étoile du soir apparaĂźt dans le ciel et tout un parterre de fleurs merveilleuses, comme Petre n’en avait jamais vu, resplendit devant lui. Parmi elles, se trouvait aussi la simple verdure de la fougĂšre. Petre, les deux mains sur ses flancs, demeura hĂ©sitant et rĂ©flĂ©chi. — Mais qu’y a-t-il, aprĂšs tout, de si Ă©tonnant ? se disait-il ; dix foix par jour, il arrive de rencontrer cette herbe ! Qu’y a-t-il de si merveilleux ! Ce museau de diable aurait-il voulu, par hasard, se moquer de moi ? Tout Ă  coup, il voit un petit bourgeon rougir et s’agiter comme si la vie l’animait. — C’est Ă©trange, en effet ! Le bourgeon continue Ă  s’agiter, grandit et brĂ»le comme un tison ? Une Ă©tincelle Ă©clate ; un lĂ©ger crĂ©pitement se fait entendre et la fleur s’épanouit devant ses yeux comme une flamme, en jetant un Ă©clat incandescent sur les autres fleurs autour d’elle. — Il est temps, se dit PĂ©trus en avançant le bras ; mais en mĂȘme temps il voit sortir de derriĂšre lui des centaines de bras velus qui se tendent aussi vers la fleur, et il perçoit comme un bruit de pas qui courent. Il ferme les yeux, attire Ă  lui la tige, et la fleur reste entre ses mains. Tout se tut ; sur le tronc coupĂ© d’un arbre, se montra assis Basavriouk, tout bleu comme un mort ; pas un muscle ne remuait en lui. Ses yeux immobiles fixaient une chose que lui seul pouvait voir. Sa bouche, Ă  demi ouverte, Ă©tait sans parole. Pas un souffle autour de lui. Oh !
 effrayant !
 Soudain, on entendit un sifflement qui glaça le sang dans les veines de Petre ; il lui sembla que l’herbe chuchotait ; et les fleurs commencĂšrent Ă  parler entre elles avec des voix aigrelettes, semblables Ă  des tintements de clochettes d’argent. Des arbres agitĂ©s et qui bourdonnaient en se menaçant, tombait comme une pluie d’injures Ă©grenĂ©es. Le visage de Basavriouk s’anima tout Ă  coup, ses yeux lancĂšrent des Ă©clairs. — Enfin, te voilĂ  arrivĂ©e ! sorciĂšre, grommela-t-il entre les dents. — Regarde, Petro, la belle va apparaĂźtre tout Ă  l’heure devant toi. Fais tout ce qu’elle t’ordonnera ; sinon tu es perdu. Puis de son bĂąton noueux, il Ă©carta le buisson Ă©pineux et aussitĂŽt, apparut la petite maisonnette ordinaire des sorciĂšres, bĂątie, comme on sait, sur des pattes de poule. Basavriouk frappa du poing et le mur chancela; un grand chien noir, aux aboiements furieux, s’élança Ă  la rencontre de Basavriouk et de son compagnon, puis, subitement, se transformant en chat, se jeta sur eux. — Ne fais pas la furibonde ! ne fais pas la furibonde, vieille diablesse ! fit Basavriouk avec un tel juron que tous les braves gens s’en seraient bouchĂ© les oreilles. Soudain, au lieu du chat, se montra une vieille femme au visage ridĂ© comme une pomme cuite, et courbĂ©e en deux, le nez et le menton en casse-noisette. — Une vraie belle, pensa Petro, et un frisson lui courut dans le dos. La sorciĂšre lui arracha la fleur, se baissa, et la tenant dans ses mains, l’arrosa d’une certaine eau en marmottant longuement. Des Ă©tincelles jaillirent de sa bouche, et l’écume monta Ă  ses lĂšvres. — Jette-la, dit-elle Ă  Petre en lui rendant la fleur. Petrus obĂ©it, et, ĂŽ merveille ! la fleur ne tomba pas tout de suite, mais longtemps l’on vit comme une petite boule de feu qui voguait dans l’air ainsi qu’une petite barque au milieu de l’obscuritĂ©. Enfin, tout doucement, elle commença Ă  descendre, et tomba si loin qu’elle n’apparaissait plus que comme une petite Ă©toile de la grosseur d’un grain de pavot. — Ici ! fit la vieille d’une voix rauque et sourde, tandis que Basavriouk, remettant une pioche Ă  Petre, lui dit — Creuse ici, Petre. Tu y trouveras plus d’or que toi et Korje n’en n’avez jamais vu, mĂȘme en rĂȘve. Petrus cracha dans ses mains, prit la pioche, appuya de son pied, et retourna la terre, une premiĂšre, une seconde, une troisiĂšme et encore une autre fois
 il rencontra quelque chose de dur. La pioche rĂ©sonna et n’alla pas plus loin. Alors il commença Ă  distinguer une petite caisse cerclĂ©e de fer. DĂ©jĂ  il s’apprĂȘtait Ă  la retirer, mais la caisse s’enfonça dans la terre; plus il faisait d’efforts pour la saisir, plus profondĂ©ment elle descendait. DerriĂšre lui, se fit entendre un rire qui ressemblait plutĂŽt Ă  un sifflement de serpent. — Non! tu n’auras pas l’or avant que tu ne te sois procurĂ© du sang humain, dit la sorciĂšre, en amenant devant lui un enfant de six ans recouvert d’un drap blanc; et, d’un signe, elle fit comprendre Ă  Petre qu’il devait lui couper la tĂȘte. Le jeune homme resta pĂ©trifiĂ©. Non seulement il fallait couper la tĂȘte Ă  un ĂȘtre humain, mais encore cet ĂȘtre Ă©tait un enfant innocent !
 Furieux, il arracha le drap qui couvrait l’enfant et que vit-il ?
 Ivas. Le pauvre petit avait les mains jointes sur la poitrine et la tĂȘte baissĂ©e !
 Hors de lui, Petrus s’élança avec un couteau sur la sorciĂšre; dĂ©jĂ  il levait la main
 — Et ta promesse pour possĂ©der la jeune fille? — fit Basavriouk d’une voix tonnante qui tapa comme une balle le dos de Petre. La sorciĂšre frappa du pied. Une flamme bleue s’échappa de la terre et la place resta illuminĂ©e, le sol devint transparent comme du cristal et tout ce qui Ă©tait au-dessous, devint aussi visible que sur la main. Des Ă©cus, des pierres prĂ©cieuses Ă©taient entassĂ©s dans des caisses, dans des chaudiĂšres, juste sous les pieds. Les yeux de Petrus flamboyaient, sa tĂȘte se troubla. AffolĂ©, il saisit son couteau et le sang innocent jaillit sur sa figure. Des rires diaboliques retentirent de tous cĂŽtĂ©s. Des monstres affreux sautĂšrent en bandes devant lui. La sorciĂšre, enfonçant ses griffes dans le corps dĂ©capitĂ©, en but le sang comme une louve
 Tout tourna dans la tĂȘte de Petre ; rĂ©unissant ses forces, il se mit Ă  courir ; tout devant lui se couvrait d’une couleur rouge. Les arbres ensanglantĂ©s flambaient en gĂ©missant ; le ciel embrasĂ© tremblait
 Des taches de feu passaient comme des Ă©clairs devant les yeux de Petre. À bout de forces, il rentra en courant dans sa chaumiĂšre, et comme une gerbe, il tomba par terre. Un sommeil de mort l’envahit aussitĂŽt. Deux jours et deux nuits, Petrus dormit sans se rĂ©veiller ; en revenant Ă  lui, le troisiĂšme jour, il examina longtemps les coins de sa chambre ; mais en vain il s’efforçait de rassembler ses souvenirs. Sa mĂ©moire Ă©tait comme la poche d’un vieil avare, de laquelle on ne peut pas mĂȘme retirer un demi kopek. En s’étirant un peu, il entendit rĂ©sonner quelque chose Ă  ses pieds. Il regarda et vit deux sacs pleins d’or. Alors seulement il se rappela d’une maniĂšre vague qu’il cherchait un trĂ©sor et qu’il avait eu peur tout seul dans la forĂȘt
 Mais Ă  quel prix, comment avait-il pu se procurer ce trĂ©sor ? cela, il ne pouvait le comprendre d’aucune façon. Quand Korge vit les sacs, il s’attendrit ; ce fut HĂ© ! PĂ©trus, par ci, HĂ© ! PĂ©trus par lĂ . Voyez-vous ce noiraud ! est-ce que je ne l’aimais pas ? N’était-il pas ici chez moi comme mon propre fils ? » Et le vieux raifort se mit Ă  tant lui en conter, Ă  tant lui en chanter, que le jeune homme en fut touchĂ© jusqu’aux larmes. Pendant ce temps, Pidarca lui apprit que des Tziganes de passage avaient volĂ© Ivas ; mais Petre ne se rappelait plus rien, Ă  tel point l’infernale diablerie l’avait Ă©tourdi. Il n’y avait pas de temps Ă  perdre. On fit un pied de nez au Polonais, et on commença les prĂ©paratifs du mariage. On fit cuire des chichkas[51] ; on confectionna des essuie-mains brodĂ©s et des foulards ; on remonta de la cave un tonneau d’eau-de-vie ; on fit asseoir Ă  table les jeunes mariĂ©s ; le pain de noce fut coupĂ© ; des bandouras, des cymbales, des fifres, des kobzas retentirent. On ne peut pas comparer les noces du vieux temps aux noces d’aujourd’hui. Quand la tante de mon grand-pĂšre se mettait Ă  nous les raconter,
 je ne vous dis que ça
 D’abord c’était comment les jeunes filles — richement coiffĂ©es de rubans jaunes, bleus, roses, par-dessus lesquels se nouaient des passementeries dorĂ©es, et, en chemise de toile fine brodĂ©e sur toutes les coutures de soie rouge et toutes couvertes de petites fleurs d’argent, chaussĂ©es de bottes de maroquin avec de hauts talons ferrĂ©s, glissaient comme des paonnes ou, bruyantes commes des ouragans, sautaient dans la chambre ; puis comment d’autres jeunes filles, coiffĂ©es d’un korablik[52] dont le haut Ă©tait de brocart d’or avec une petite sĂ©paration sur la nuque d’oĂč sortaient un bonnet dorĂ© et deux petites cornes de la plus fine fourrure du noir mouton, allant l’une en avant l’autre en arriĂšre ; vĂȘtues de kountouchs bleus de la meilleure soie, avec des parements rouges sur la poitrine, sur les manches et Ă  l’endroit des poches, les mains campĂ©es sur les reins, s’avançaient fiĂšrement une Ă  une en frappant de leurs pieds la mesure du hopak ; comment les jeunes gens avec de hauts bonnets de Cosaques, vĂȘtus de svitkas de drap fin, serrĂ©s dans des ceintures brodĂ©es d’argent, leur pipe entre les dents, se dĂ©menaient autour des jeunes filles en leur contant des balivernes. Le vieux Korje lui-mĂȘme ne put se retenir en voyant les jeunes et se mit aussi de la partie, Une bandoura dans les mains, en tirant de sa pipe des bouffĂ©es de fumĂ©e et en chantonnant en mĂȘme temps, un gobelet sur la tĂȘte, il s’élança et se mit Ă  tournoyer, accompagnĂ© par les cris des noceurs. Que de choses n’invente-t-on pas quand on a dĂ©jĂ  la tĂȘte un peu Ă©chauffĂ©e ! On se dĂ©guisa et on mit des masques. On ne ressembla plus Ă  des gens ! Ce n’étaient pas comme les travestissements de nos noces d’aujourd’hui. Que fait-on maintenant ? on se borne Ă  imiter les Tziganes et les Moscovites. Non, tandis que jadis, l’un se travestissait en Juif, l’autre en diable, on commençait d’abord par s’embrasser, puis on se tirait par les cheveux
 Enfin, que vous dirai-je ? on riait Ă  s’en tenir les cĂŽtes. On mettait des habits de Turc et des habits de Tartare ; cela brillait sur vous comme du feu
 et quand on se mettait Ă  faire des tours
 alors il fallait emporter tous les saints de la maison[53] ! À mon arriĂšre-grand’tante qui assista Ă  cette noce, il arriva une amusante histoire. Elle s’était affublĂ©e d’une large robe de Tartare et, un gobelet Ă  la main, elle faisait les honneurs Ă  l’assistance. VoilĂ  que le Malin poussa l’un des convives Ă  lui verser de l’eau-de-vie sur le dos ; un autre qui Ă©tait aussi un avisĂ©, battit le briquet au mĂȘme moment et alluma le dos de la tante. La malheureuse, toute effrayĂ©e, commença Ă  se dĂ©shabiller devant tout le monde
 des cris ! des rires ! une vraie cacophonie comme Ă  la foire ; en un mot, les vieux eux-mĂȘmes ne se souvenaient pas d’une noce aussi joyeuse. Aussi Pidarca et Petrus commençaient Ă  vivre comme de vrais seigneurs. Ils avaient de tout en abondance ; tout Ă©tincelait autour d’eux
 cependant, les bonnes gens hochaient la tĂȘte avec mĂ©fiance. — Il n’y a jamais du bien oĂč le diable se mĂȘle — disaient-ils d’une seule voix — car d’oĂč PĂ©trus avait-il pu avoir une telle richesse, si ce n’était pas du tentateur de la gent orthodoxe ? Pourquoi prĂ©cisĂ©ment, le jour oĂč il devint riche, Basavriouk disparut-il comme sous terre ? Dites que les gens aiment Ă  inventer, puisque, en effet, un mois Ă  peine aprĂšs le mariage, Petrus n’était plus reconnaissable. Pourquoi et comment avait-il changĂ© ainsi ? Dieu le sait ! Toujours est-il qu’il restait assis sur place, sans Ă©changer un seul mot avec personne, toujours absorbĂ© dans ses rĂ©flexions et comme s’efforçant de se rappeler quelque chose. Quand Pidarca rĂ©ussit Ă  le faire parler un peu, il semble soudain s’animer, s’oublier, devenir mĂȘme gai ; mais si, par hasard, il jette ses regards sur les sacs d’or — Attends ! attends ! j’ai oubliĂ©, crie-t-il. Et de nouveau, il devient songeur et, de nouveau, il cherche Ă  se rappeler !
 Par moments, quand il reste longtemps Ă  la mĂȘme place, il lui semble que le jour va enfin se faire dans son esprit
 Mais, encore une fois, tout disparaĂźt. Il se rappelle bien ĂȘtre allĂ© au cabaret ; il s’y voit ; on lui apporte de l’eau-de-vie ; elle lui brĂ»le la gorge ; elle le dĂ©goĂ»te ; quelqu’un s’approche, lui frappe sur l’épaule
 Puis tout se couvre d’un brouillard devant lui. La sueur inonde son visage et il reste extĂ©nuĂ© Ă  sa place. Que ne faisait pas Pidarca ? Elle demandait conseil aux guĂ©risseurs ; elle faisait couler le perepolokh, cuire la soniachnitsa[54] ; rien ne soulageait Petrus ! L’étĂ© passa ainsi. Nombre de Cosaques avaient dĂ©jĂ  fauchĂ© et rĂ©coltĂ©. Nombre d’autres, plus hardis, Ă©taient partis en excursion. Des bandes de canards sauvages se pressaient encore sur nos marĂ©cages, mais dĂ©jĂ  depuis longtemps, les roitelets avaient disparu. Les steppes prenaient leur teinte rouge d’automne. Çà et lĂ , semblables Ă  des bonnets de Cosaques, des meules se montraient dans les champs. Sur la route on rencontrait des charrettes pleines de broussailles et de bois. La terre devenait dĂ©jĂ  plus dure sous les pieds et, par endroits, se glaçait. DĂ©jĂ  la neige commençait Ă  se tamiser, et les branches des arbres saupoudrĂ©es de givre, semblaient recouvertes d’une fourrure de liĂšvre. DĂ©jĂ , par une claire journĂ©e de gelĂ©e, le bouvreuil au poitrail rouge, comme un Ă©lĂ©gant dandy Polonais, se promenait sur les monticules de neige en y picorant des grains, et les enfants, avec de grandes perches, faisaient tourner des toupies en bois, pendant que leurs pĂšres, aprĂšs s’ĂȘtre longtemps prĂ©lassĂ©s sur leurs fourneaux, apparaissaient par intervalles sur le seuil de leur demeure, la pipe entre les dents, pour envoyer un bon juron Ă  la gelĂ©e orthodoxe, ou prendre un peu l’air ou remuer le blĂ© dans la grange. Enfin la neige elle-mĂȘme commence Ă  fondre. Le brochet, de sa queue, a dĂ©jĂ  rompu la glace »; mais Petrus reste toujours le mĂȘme, et plus il va, plus il devient morose. Il est assis, comme clouĂ© au milieu de sa katha, ses sacs d’or Ă  ses pieds ; il est devenu sauvage ; il a laissĂ© croĂźtre ses cheveux et sa barbe, il est terrifiant, et ne pense qu’à une chose se souvenir !
 Il se fĂąche, il s’irrite de son impuissance. Souvent, l’air Ă©garĂ©, il se lĂšve de sa place, agite les bras, et, de ses yeux fixes, semble dĂ©signer quelque chose qu’il veut atteindre. Ses lĂšvres remuent comme si elles voulaient prononcer une parole oubliĂ©e, puis elles s’arrĂȘtent
 Une rage l’envahit. Fou, il ronge et mord ses mains, il s’arrache avec colĂšre des poignĂ©es de cheveux, jusqu’à ce que calmĂ©, il tombe dans une sorte de torpeur ; puis il recommence Ă  se souvenir et, de nouveau, la rage, de nouveau les souffrances !
 D’oĂč vient cette malĂ©diction de Dieu ? La vie n’est plus possible pour Pidarca. Elle avait peur d’abord de rester seule auprĂšs de son mari dans la khata ; peu Ă  peu cependant la pauvrette s’est habituĂ©e Ă  son malheur. Mais on ne reconnaĂźt plus la Pidarca de jadis. Plus de rose sur ses joues, plus de sourire sur ses lĂšvres ; elle est fatiguĂ©e, amaigrie, les larmes se sont taries dans ses yeux. Un jour, quoiqu’un eut pitiĂ© d’elle et lui conseilla d’aller trouver la sorciĂšre qui demeurait dans le ravin de l’Ours et qui avait la renommĂ©e de guĂ©rir toutes les maladies du monde. Pidarca se dĂ©cida Ă  employer ce dernier moyen. Elle se rendit Ă  l’endroit indiquĂ© et rĂ©ussit Ă  persuader la vieille de la suivre au village. C’était prĂ©cisĂ©ment ce soir-lĂ  encore la veille de la Saint-Jean. Petro Ă©tait Ă©tendu sur un banc et ne vit pas la nouvelle arrivĂ©e ; mais peu Ă  peu, il commença Ă  se soulever et Ă  l’examiner. Tout Ă  coup il tressaillit comme sur le billot ; ses cheveux se dressĂšrent sur sa tĂȘte et il s’esclaffa d’un tel rire que Pidarca en devint terrifiĂ©e. — Je me souviens, je me souviens, s’écria-t-il, avec une joie horrible, et, brandissant une hache, il la lança de toutes ses forces dans la vieille. La hache s’enfonça de trois pouces dans la porte de chĂȘne. La vieille disparut et un enfant de sept ans, en chemise blanche, la tĂȘte recouverte, resta au milieu de la khata
 Le drap tomba. — Ivas ! s’écria Pidarca en s’élançant vers lui. Mais le fantĂŽme se couvrit de sang de la tĂȘte aux pieds et remplit la khata d’une lumiĂšre rouge
 Tout effrayĂ©e, Pidarca se sauva hors de la maison, puis revenant Ă  elle, elle voulut courir Ă  l’aide de son frĂšre ; ce fut en vain. La porte s’était fermĂ©e derriĂšre elle si fortement qu’elle n’eut pas la force de l’ouvrir. Des gens accoururent ; ils se mirent Ă  frapper et finalement enfoncĂšrent la porte ; pas une Ăąme ! Toute la khata est pleine de fumĂ©e et, au milieu, lĂ  oĂč Ă©tait PĂ©trus, se trouvait un tas de cendres d’oĂč, par endroits, s’échappait encore de la vapeur. On se jeta sur les sacs et, au lieu d’écus, on n’y trouva que des dĂ©bris de poteries cassĂ©es. Les yeux et les bouches grandes ouvertes, n’osant pas remuer un seul poil de leurs moustaches, les Cosaques demeuraient comme clouĂ©s sur terre. Telle fut l’épouvante qui les envahit ! De ce qui se passa aprĂšs, je ne me souviens plus. Pidarca fit le vƓu d’aller en pĂšlerinage, ramassa tout le bien qui lui vint de son pĂšre et, quelques jours aprĂšs, elle avait quittĂ© le village. OĂč Ă©tait-elle partie ? Personne ne pouvait le dire. Les vieilles commĂšres l’avaient d’abord envoyĂ©e lĂ  oĂč Ă©tait dĂ©jĂ  parti Petrus. Mais un Cosaque, qui arrivait de Kiew, racontait qu’il voyait dans la laure[55] une religieuse dessĂ©chĂ©e comme un squelette et tout le temps en priĂšre ; dans la description qu’il en fit, les gens du pays reconnurent Pidarca. Il disait encore que personne n’avait jamais entendu une seule parole d’elle ; qu’elle Ă©tait venue Ă  pied, en apportant pour l’icĂŽne de la Sainte-Vierge un ornement semĂ© de pierres si Ă©clatantes que les yeux Ă©blouisse fermaient tous en le regardant. Permettez ! lĂ  ne se termine pas encore l’histoire. Le mĂȘme jour que le diable avait entraĂźnĂ© Petrus chez lui, Basavriouk reparut de nouveau ; mais tout le monde le fuyait. On connaissait dĂ©jĂ  l’oiseau il n’était rien autre que Satan qui avait pris le masque d’un homme pour dĂ©couvrir les trĂ©sors ; mais comme les trĂ©sors ne se laissent pas prendre par des mains impures, il sĂ©duisait des gens !
 La mĂȘme annĂ©e, tous abandonnĂšrent leurs chaumiĂšres et allĂšrent habiter le grand village. Mais lĂ , non plus, on ne fut pas Ă  l’abri du maudit Basavriouk. La tante de mon dĂ©funt grand-pĂšre disait que c’était Ă  elle qu’il en voulait le plus, parce qu’elle avait abandonnĂ© son cabaret de la grand’route, et il cherchait Ă  se venger de toutes les maniĂšres. Un jour, les anciens du village, rĂ©unis dans le cabaret, s’entretenaient entre eux assis autour d’une table au milieu de laquelle Ă©tait servi, pour vous dire sans mentir, un mouton entier rĂŽti. On parlait de cela, d’autre chose. On contait aussi des histoires merveilleuses. Tout Ă  coup, les convives croient voir — ce ne serait encore rien si ce n’eĂ»t Ă©tĂ© qu’un seul, mais tous Ă  la fois, — le mouton lever la tĂȘte, ses yeux Ă©teints s’animer et s’allumer et des moustaches drues, qui poussĂšrent soudain, remuer du cĂŽtĂ© des assistants d’une maniĂšre significative. On reconnut aussitĂŽt, dans la tĂȘte du mouton, le museau de Basavriouk. Mon arriĂšre-grand’tante s’attendait dĂ©jĂ  Ă  l’entendre demander de l’eau-de-vie. Les honorables anciens saisirent aussitĂŽt leur bonnet et se sauvĂšrent. Une autre fois, le marguillier lui-mĂȘme qui aimait de temps Ă  autre Ă  causer en tĂȘte-Ă -tĂȘte avec le gobelet des aĂŻeux, eut Ă  peine regardĂ© pour la seconde fois le fond de son verre qu’il vit tout Ă  coup ce mĂȘme verre le saluer respectueusement. — Que le diable t’emporte ! et il se signa !
 En mĂȘme temps une chose aussi Ă©trange arrivait Ă  sa moitiĂ© Ă  peine s’était-elle mise Ă  pĂ©trir la pĂąte dans un grand tonneau, que tout Ă  coup, le tonneau sursauta. — ArrĂȘte ! arrĂȘte ! Mais quoi ! Dans la position d’un homme qui se tiendrait les deux mains sur les hanches, le tonneau, avec un air d’importance, se mit Ă  danser dans toute la khata
 Riez, riez, de cela !
 Mais nos grands-pĂšres Ă©taient loin d’en rire, et malgrĂ© que le pĂšre Athanase traversĂąt tout le village pour chasser le diable en aspergeant les rues d’eau bĂ©nite, mon arriĂšre-grand’tante se plaignait quand mĂȘme toujours, disant qu’aussitĂŽt le soir venu, quelque chose frappait sur le toit et grattait le mur. Mais quoi ! Ainsi Ă  prĂ©sent, sur la place mĂȘme oĂč est bĂąti notre village et oĂč tout semble tranquille, il n’y a cependant pas bien longtemps encore que feu mon pĂšre se souvenait et moi aussi que les braves gens ne pouvaient passer auprĂšs du cabaret en ruines ; longtemps la race impure l’entretint Ă  son compte. Du tuyau du poĂȘle noirci la fumĂ©e s’échappait en colonne et s’élevait si haut que, quand on la regardait, le bonnet tombait de la tĂȘte ; cette fumĂ©e se rĂ©pandait en tisons embrasĂ©s sur les steppes ; et le diable je ne devrais mĂȘme pas nommer ce fils de chien ! le diable sanglotait si plaintivement dans sa retraite, que les corbeaux, effrayĂ©s, s’envolaient de la forĂȘt de chĂȘnes voisine et sillonnaient le ciel avec des cris sauvages. HISTOIRE VRAIE RacontĂ©e par le sacristain de l’église de ***. Alors vous voulez que je vous raconte encore quelque chose sur mon grand-pĂšre ? Soit ! pourquoi refuserais-je de vous amuser d’une historiette ? Ah ! le bon vieux temps le bon vieux temps ! Quelle joie, quel dĂ©lire envahit le cƓur quand on entend raconter quelque chose sur ce qui se passait dans le monde il y a longtemps, si longtemps qu’il est impossible de prĂ©ciser l’annĂ©e et le mois. Et, si encore il s’agit de quelque parent, grand-pĂšre ou aĂŻeul, alors c’est Ă  n’en pas revenir ! Qu’il me pousse un rat dans la gorge en chantant le gloria Ă  sainte Barbe Martyre, s’il ne me semble pas que la chose m’est arrivĂ©e Ă  moi-mĂȘme, et que je suis entrĂ© dans la peau de mon aĂŻeul ou que c’est son Ăąme qui tressaute en moi
 Non ! ce qui est pire encore, ce sont nos jeunes filles et nos jeunes gens. Que je me montre seulement devant eux — Foma Grigorievitch ! Foma Grigorievitch ! allons, un conte bien effrayant, vite, vite !
 Et ta ra ta ta ta ta ! et ci et ça
 Certes ! il ne m’en coĂ»te pas beaucoup de leur raconter quelque chose, mais si vous voyiez ensuite ce qu’ils deviennent une fois dans leur lit
 je sais pertinemment que chaque jeune fille tremble sous sa couverture comme si elle avait la fiĂšvre et serait bien aise de pouvoir tirer son touloupe jusque par-dessus sa tĂȘte. Qu’un rat gratte sur une marmite ou que la jeune fille elle-mĂȘme fasse tomber son tisonnier d’un mouvement de son pied ! Oh, seigneur ! elle en reste glacĂ©e de frayeur ; et le lendemain matin, c’est comme si rien ne s’était passĂ© ; elle vous harcĂšle de nouveau ; contez-lui une histoire effrayante ; elle ne connaĂźt que ça. Eh bien ! que vais-je donc vous raconter ? ça ne vient pas tout de suite Ă  l’esprit. Ah ! oui ! je vais vous dire comment les sorciĂšres jouĂšrent avec mon grand-pĂšre au dourak[56]. Seulement je vous prierai, messieurs, de ne pas me troubler par des questions, autrement il en sortirait un salmigondis impossible Ă  servir. Il faut vous dire que mon dĂ©funt grand-pĂšre Ă©tait bien au-dessus des simples Cosaques. Il savait oĂč mettre les signes d’abrĂ©viation dans la langue vieille-slave. Pendant les fĂȘtes, il vous psalmodiait les Ă©pĂźtres avec une rapiditĂ© Ă  rendre des points Ă  un fils de pope d’aujourd’hui. Eh bien ! comme vous savez, dans le temps jadis, si on avait rĂ©uni tous les lettrĂ©s de la ville de Batourine, on n’aurait pas eu besoin de tendre son bonnet pour les mettre dedans ; le creux de la main aurait suffi. Par consĂ©quent il n’y a pas Ă  s’étonner si tous ceux que rencontrait le grand-pĂšre s’inclinaient jusqu’à la ceinture. Un jour, le sĂ©rĂ©nissime Hetmann eut l’idĂ©e d’envoyer une missive Ă  la Czarine. Le scribe du rĂ©giment que le diable l’emporte, j’ai oubliĂ© son nom ! est-ce Viskriak ou non ? Motuzotchka ou non ? Golopoutsek ou non ?
 En tout cas, ce que je sais, c’est que son nom Ă©tait trĂšs difficile. Enfin le scribe du rĂ©giment appela mon grand-pĂšre et lui dit que l’hetmann le chargeait d’aller porter une missive Ă  la Czarine. Mon grand-pĂšre n’aimait pas Ă  faire de longs prĂ©paratifs. Il cousit la missive dans son bonnet, attela son cheval, embrassa sa femme et ses deux comme il les appelait petits cochons dont l’un Ă©tait mon pĂšre, et partit en soulevant derriĂšre lui autant de poussiĂšre que si quinze gaillards eussent jouĂ© aux barres au milieu de la rue. Le lendemain matin, le coq n’avait pas encore chantĂ© pour la quatriĂšme fois que mon grand-pĂšre Ă©tait dĂ©jĂ  Ă  Konotop. Il y avait lĂ  en ce moment une foire une telle foule encombrait les rues qu’on en avait mal aux yeux Ă  regarder ; mais comme il Ă©tait encore de trĂšs bonne heure, tous les gens dormaient Ă©tendus par terre. AuprĂšs d’une vache, Ă©tait couchĂ© un parobok noceur au nez rouge comme un bouvreuil ; plus loin ronflait, assise devant son Ă©talage, une marchande de pierres Ă  feu, de bleu, de plomb Ă  fusil et de bubliki. Sous une tĂ©lĂ©ga[57], Ă©tait couchĂ© un tzigane ; sur une charrette chargĂ©e de poisson Ă©tait Ă©tendu un tchoumak[58]; et, sur la grande route, les jambes Ă©talĂ©es, restait couchĂ© un Moscovite barbu avec une cargaison de ceintures et de mitaines
 En un mot, il y avait lĂ  toutes sortes de gens comme on en trouve dans les foires. Mon grand-pĂšre s’arrĂȘta pour regarder autour de lui. Les tentes commençaient peu Ă  peu Ă  s’animer les juives rangeaient leurs flacons ; la fumĂ©e montait çà et lĂ  en spirales et l’odeur des friandises chaudes se rĂ©pandait sur tout le campement. Mon grand-pĂšre se rappela qu’il n’avait ni de l’étoupe ni du tabac, et il se mit Ă  en chercher dans la foire. Il avait Ă  peine fait vingt pas qu’il rencontra un Zaporogue, un vrai noceur ; on s’en rendait bien compte en le voyant. Des pantalons rouges comme le feu, un cafetan bleu, une ceinture de couleur Ă©carlate, le sabre au cĂŽtĂ©, un brĂ»le-gueule avec une chaĂźnette en cuivre pendant jusqu’aux pieds, en un mot un vrai Zaporogue ! Ah ! quels gars ! comme ils s’arrĂȘtent, s’étirent en passant la main dans cette brave moustache, font retentir le fer de leurs talons et se mettent Ă  danser leurs jambes tournent avec la vitesse d’une quenouille dans les mains d’une femme ! comme un tourbillon ils font rĂ©sonner toutes les cordes de leurs bandouras, puis, les mains sur les hanches, ils s’élancent en prissiadka[59], et entonnent une chanson Ă  vous transporter l’ñme !
 Non ! le temps est passĂ©. On ne verra plus de Zaporogues ! Donc mon grand-pĂšre rencontra un de ces Zaporogues. D’un mot Ă  un autre, il ne leur fallut pas longtemps pour devenir amis. On se mit Ă  bavarder, Ă  bavarder au point que mon grand-pĂšre oublia tout Ă  fait son voyage. Ils burent autant qu’à une noce avant le grand carĂȘme. Enfin ils furent las de casser des pots et de semer l’argent dans la foule ; d’ailleurs la foire elle-mĂȘme ne pouvait pas durer une Ă©ternitĂ© ; les deux nouveaux amis convinrent alors de ne pas se sĂ©parer et de faire route ensemble. La soirĂ©e Ă©tait dĂ©jĂ  avancĂ©e quand ils se trouvĂšrent au milieu des champs. Le soleil partit pour le repos, ne laissant çà et lĂ  derriĂšre lui que des bandes rougeĂątres. La campagne, avec ses prairies bigarrĂ©es, Ă©tait pareille aux robes de fĂȘte des jeunes filles aux noirs sourcils. Une terrible dĂ©mangeaison de langue empoigna notre Zaporogue ; mon grand-pĂšre et un autre noceur qui s’était joint Ă  eux, pensaient dĂ©jĂ  qu’un diable avait dĂ» s’introduire en lui. OĂč allait-il chercher toutes ces histoires et contes si drĂŽles que mon grand-pĂšre s’en tenait les cĂŽtes et faillit en avoir mal au ventre. Mais plus on avançait, plus l’obscuritĂ© augmentait, et en mĂȘme temps les discours du gars perdaient de leur verve. Enfin le conteur se tut tout Ă  fait, et commença Ă  tressaillir Ă  chaque bruit. — Eh ! eh ! pays. Je vois que tu te mets sĂ©rieusement Ă  compter les hiboux. Tu penses dĂ©jĂ  Ă  te sauver au plus vite chez toi et Ă  remonter sur ton poĂȘle ! — Eh bien ! je ne veux pas vous cacher la chose, dit tout Ă  coup le Zaporogue en se tournant vers ses compagnons et en fixant ses yeux sur eux. — Sachez que mon Ăąme est vendue depuis longtemps au Malin. — Eh ! qu’est-ce que cela fait ? Qui dans sa vie, n’a pas eu d’affaire Ă  dĂ©brouiller avec les impurs. C’est prĂ©cisĂ©ment alors qu’il faut, comme on dit, faire la noce Ă  tout casser. — Eh ! compagnons, je nocerais bien ; mais il se trouve que prĂ©cisĂ©ment cette nuit les dĂ©lais sont expirĂ©s. Eh ! frĂšres, dit-il, en tapant dans leurs mains, venez-moi en aide, ne dormez pas de cette nuit ; de ma vie, je n’oublierai votre service. Comment ne pas venir en aide Ă  un homme dans un si grand malheur ! Mon grand-pĂšre dĂ©clara aussitĂŽt qu’il donnerait plutĂŽt Ă  couper l’oceledets de sa propre tĂȘte, que de laisser le diable flairer de son museau de chien une Ăąme chrĂ©tienne. Nos Cosaques auraient peut-ĂȘtre poursuivi leur route, si la nuit n’avait pas enveloppĂ© tout le ciel comme d’un voile noir et qu’il n’eĂ»t fait aussi sombre dans les champs que sous un touloupe de mouton. Au loin seulement scintillait une faible lueur, et les chevaux, sentant l’écurie proche, se dĂ©pĂȘchaient, les oreilles tendues et leurs yeux perçant l’obscuritĂ©. La petite lueur semblait se porter d’elle-mĂȘme Ă  leur rencontre et, devant les Cosaques, apparut la petite maisonnette d’un cabaret, penchĂ©e sur le cĂŽtĂ© comme une femme au retour d’un joyeux baptĂȘme. À cette Ă©poque, les cabarets n’étaient pas ce qu’ils sont aujourd’hui. Un honnĂȘte homme n’avait non seulement pas la place de se mettre Ă  l’aise ou de danser le hopak, mais mĂȘme de se coucher quand le vin alourdissait sa tĂȘte et que ses jambes commençaient Ă  dĂ©crire des zigzags. Toute la cour Ă©tait encombrĂ©e de charrettes de Tchoumaks. Dans les hangars, dans les Ă©tables, dans le vestibule, tous ronflaient comme des chats, l’un recroquevillĂ©, l’autre Ă©talĂ©. Le cabaretier seul, devant son lampion, faisait des entailles sur un bĂąton pour marquer combien de mesures avaient vidĂ©es les tĂȘtes de Tchoumaks. Mon grand-pĂšre, aprĂšs avoir commandĂ© le tiers d’un seau d’eau-de-vie pour trois, se rendit dans le hangar oĂč lui et ses compagnons s’étendirent l’un Ă  cĂŽtĂ© de l’autre. Il n’avait pas encore eu le temps de se retourner qu’il s’aperçut que ses pays dormaient dĂ©jĂ  d’un sommeil de plomb. RĂ©veillant le troisiĂšme Cosaque qui s’était joint Ă  eux, pendant la route, mon grand-pĂšre lui rappela la promesse donnĂ©e au compagnon. Celui-ci se souleva, se frotta les yeux et s’endormit de nouveau. Que faire ! sinon se rĂ©signer Ă  monter la garde tout seul. Pour chasser le sommeil, mon grand-pĂšre alla examiner toutes les charrettes, s’assurer de ce que faisaient les chevaux, alluma sa pipe, revint et s’assit de nouveau auprĂšs de ses compagnons. Tout Ă©tait calme au point qu’on aurait pu entendre le vol d’une mouche. VoilĂ  que tout Ă  coup, il voit quelque chose de gris montrer des cornes au-dessus d’une charrette voisine ; en mĂȘme temps ses yeux commençaient Ă  se fermer, de sorte qu’il dut les frotter Ă  chaque instant de son poing et les laver avec de l’eau-de-vie qui restait ; aussitĂŽt que ses yeux redevenaient clairs, tout disparaissait. Mais pou aprĂšs, le monstre se montrait de nouveau derriĂšre la charrette. Mon grand-pĂšre Ă©carquilla les yeux autant qu’il put, mais le maudit sommeil voilait tout devant lui. Ses bras s’engourdirent, sa tĂȘte se pencha et un sommeil si profond l’envahit qu’il tomba comme mort. Le grand-pĂšre dormit longtemps ; ce ne fut que quand le soleil eut bien chauffĂ© sa tonsure qu’il se leva vivement sur ses jambes. AprĂšs s’ĂȘtre Ă©tirĂ© par deux fois et avoir grattĂ© son dos, il remarqua qu’il y avait dĂ©jĂ  moins de charrettes que la veille ; les Tchoumaks probablement Ă©taient partis Ă  l’aube. Il regarda du cĂŽtĂ© de ses compagnons le Cosaque Ă©tait lĂ  qui dormait encore, mais le Zaporogue avait disparu. Il se mit Ă  questionner les gens, mais personne ne savait rien. Seule la svitka du Zaporogue Ă©tait restĂ©e Ă  la place oĂč celui-ci s’était couchĂ©. EffrayĂ©, mon grand-pĂšre rĂ©flĂ©chit un moment. Il alla voir les chevaux, mais il ne trouva ni le sien ni celui du Zaporogue. Qu’est ce que cela pouvait bien ĂȘtre ? Admettons la force maligne s’est emparĂ©e du Zaporogue ; mais qui a pris les chevaux ? » AprĂšs avoir longtemps songĂ©, le grand-pĂšre conclut que le diable Ă©tait venu et, comme il y avait une longue trotte pour retourner jusqu’en enfer, il avait chipĂ© son cheval. Il Ă©tait trĂšs chagrinĂ© de n’avoir pas tenu sa parole de Cosaque. — Eh bien, pensa-t-il, rien Ă  faire ! j’irai Ă  pied ! Peut-ĂȘtre trouverai-je sur ma route quelque maquignon retour de la foire et pourrai-je lui acheter un cheval ? Il voulut mettre son bonnet, mais le bonnet lui-mĂȘme avait disparu. Mon dĂ©funt grand-pĂšre joignit ses mains de dĂ©sespoir, en se rappelant que la veille, il l’avait Ă©changĂ© contre celui du Zaporogue. L’impur l’avait donc volĂ© aussi ! Il pouvait se fouiller maintenant ! Il en aurait des cadeaux de l’hetmann !
 Le voilĂ  bien parti, pour porter la missive Ă  la Czarine ! Et alors mon grand-pĂšre se mit Ă  invectiver Ă  tel point le diable que, dans le fond de l’enfer, il en dut Ă©ternuer plus d’une fois [60]. Mais les paroles ne font pas marcher les choses mon grand-pĂšre eut beau se gratter la nuque, il n’en trouva rien pour cela. Que faire ? Alors il eut recours Ă  l’intelligence des autres. Il rĂ©unit toutes les bonnes gens qui se trouvaient dans le cabaret, Tchoumacks ou autres passants, et leur raconta son malheur. Les Tchoumaks restĂšrent longtemps Ă  rĂ©flĂ©chir, le menton appuyĂ© sur leur fouet, hochĂšrent la tĂȘte et finirent par dire qu’ils n’avaient jamais entendu parler dans tout le monde chrĂ©tien de missive d’hetmann volĂ©e par le diable ; d’autres ajoutĂšrent qu’une fois qu’un diable ou qu’un Moscovite volait une chose, il n’y avait plus rien Ă  espĂ©rer. Seul, le cabaretier restait silencieux dans son coin. Le grand-pĂšre s’adressa Ă  lui Quand un homme garde le silence c’est qu’il a beaucoup d’esprit. » Seulement le cabaretier n’était pas trĂšs prodigue de paroles et si mon grand-pĂšre n’avait pas sorti de sa poche cinq Ă©cus, il n’aurait pas tirĂ© un seul mot de lui. — Je vais l’apprendre comment tu pourras retrouver ta missive, dit l’hĂŽte, en emmenant mon grand-pĂšre Ă  l’écart. Mon grand-pĂšre se sentit comme allĂ©gĂ© d’un poids. — Je vois dĂ©jĂ  dans tes yeux que tu es un Cosaque et non pas une femme. Eh bien ! Ă©coute Tout prĂšs d’ici, un chemin tourne Ă  droite dans la forĂȘt. AussitĂŽt que le soir tombera sur les champs, trouve-toi prĂȘt Ă  te mettre en route. Dans la forĂȘt vivent des tziganes qui ne sortent de leurs repaires que pour forger le fer aux heures de la nuit oĂč les sorciĂšres seules se promĂšnent Ă  cheval sur leur tisonnier. Quelle est, au fond, leur vĂ©ritable profession ? Cela ne te regarde pas. Il y aura beaucoup de tapage dans la forĂȘt ; seulement ne va pas dans la direction d’oĂč tu l’entendras. Tu trouveras devant toi un petit sentier qui passe auprĂšs d’un arbre brĂ»lĂ© par la foudre ; prends ce chemin, et marche, marche, marche
 Les buissons Ă©pineux t’écorcheront ; des fourrĂ©s Ă©pais de noisetiers te barreront la route — toi, marche toujours, et quand tu arriveras prĂšs d’un petit ruisseau, ce sera alors seulement que tu pourras t’arrĂȘter, et tu verras ce que tu veux. N’oublie pas non plus de mettre dans tes poches la chose pour laquelle elles sont faites
 Tu comprends, diable ou homme, tout le monde l’aime
 AprĂšs avoir ainsi parlĂ©, le cabaretier se retira dans sa chambre et ne voulut plus ajouter un seul mot. Mon dĂ©funt grand-pĂšre n’était pas un poltron. S’il lui arrivait de rencontrer un loup, il le saisissait par la queue ; quand de ses poings, il se frayait un chemin parmi les Cosaques, tous tombaient autour de lui comme des poires. Cependant un frisson lui courut dans le dos quand il entra par une nuit aussi noire dans la forĂȘt. Pas une Ă©toile au ciel. Il faisait sombre et dĂ©sert autant que dans une cave. On n’entendait que lĂ  haut, lĂ -haut au dessus de la tĂȘte, le vent froid qui se promenait sur le sommet des arbres, et ceux-ci, comme autant de tĂȘtes de Cosaques ivres, chancelaient, semblables Ă  des noceurs, en murmurant de leurs feuillages des discours sans suite. Ce fut au moment oĂč, sentant le froid plus vif, il regretta de n’avoir pas pris son touloupe en peau de mouton que, subitement, la forĂȘt se trouva Ă©clairĂ©e comme par l’aurore, et en mĂȘme temps un bruit semblable Ă  celui de cent marteaux sonna si fort dans ses oreilles qu’il crut en avoir la tĂȘte cassĂ©e. Mon grand pĂšre aperçut aussitĂŽt devant lui un petit sentier qui serpentait Ă  travers des buissons ; l’arbre brĂ»lĂ© par la foudre apparut Ă©galement ainsi que les arbustes Ă©pineux. Tout cela Ă©tait bien tel qu’on le lui avait indiquĂ©. Non ! le cabaretier ne l’avait pas trompĂ©. Mais il n’était pas bien facile ni bien gai de se frayer un chemin Ă  travers les Ă©pines. De sa vie, il n’avait vu Ă©pines et branches Ă©corcher si douloureusement ; presque Ă  chaque pas, il Ă©touffait un cri. Cependant, peu Ă  peu, il sortit de cet endroit et arriva sur une place plus libre, oĂč autant qu’il put le remarquer, les arbres devenaient plus rares, mais en mĂȘme temps si Ă©normes, qu’il n’en n’avait jamais rencontrĂ© de semblables mĂȘme de l’autre cĂŽtĂ© de la Pologne. Tout Ă  coup au milieu des arbres, apparut le ruisseau au reflet d’acier d’un noir bleuĂątre. Le grand-pĂšre resta longtemps sur le bord en regardant de tous cĂŽtĂ©s. Sur la rive opposĂ©e brillait un feu qui, tantĂŽt semblait s’éteindre et tantĂŽt se ravivait, reflĂ©tant sa flamme dans le ruisseau qui tremblait lĂ -dessous comme un Polonais sous la poigne d’un Cosaque. Enfin apparut le petit point. Ah ! par exemple ! Ce n’est que la voiture du diable qui pourrait passer lĂ -dessus ? Cependant, mon grand-pĂšre mit le pied sur le pont avec courage, et en moins de temps qu’un priseur n’en met Ă  retirer une prise de sa tabatiĂšre et Ă  la porter Ă  son nez, il Ă©tait dĂ©jĂ  de l’autre cĂŽtĂ©. Alors seulement, il put distinguer qu’autour du feu se trouvaient des hommes au museau Ă  tel point attrayant, qu’en toute autre occasion, il aurait donnĂ© Dieu sait quoi pour fuir de pareilles connaissances. Mais pour le moment il n’y avait pas Ă  reculer, il fallait lier conversation. Mon grand-pĂšre salua presque jusqu’à la ceinture et dit — Dieu soit avec vous, bonnes gens ! Pas un ne rĂ©pondit mĂȘme d’un hochement de tĂȘte. Toujours silencieux, ils versĂšrent quelque chose dans le feu. Remarquant une place libre, mon grand pĂšre l’occupa sans autre prĂ©ambule. Longtemps on resta ainsi sans mot dire. Mon grand-pĂšre commençait dĂ©jĂ  Ă  s’ennuyer. Il se mit Ă  fouiller dans sa poche, en tirant sa pipe et, tranquillement, examina les visages de ses compagnons. Personne ne s’occupait de lui. — Voudriez-vous ĂȘtre assez aimable ?
 Comment dirais-je
 pour
 mon grand-pĂšre avait l’usage du monde et savait comment s’y prendre pour tourner une phrase ; devant le Czar mĂȘme il ne se fĂ»t point laissĂ© dĂ©contenancer pour
 pour que je me mette Ă  l’aise et qu’en mĂȘme temps je ne vous offense pas. J’ai bien du tabac, une pipe, mais rien pour allumer. À son discours rien ne fut encore rĂ©pondu. Un museau seulement lui avança un tison dans la figure d’une façon telle, que si mon grand-pĂšre n’avait Ă©cartĂ© la tĂȘte, il eĂ»t pu dire pour toujours adieu Ă  un Ɠil. Voyant enfin qu’il perdait inutilement son temps il se dĂ©cida — que cette race impure l’écoutĂąt ou non — Ă  raconter son affaire. Alors les museaux tendirent les oreilles et avancĂšrent leurs pattes. Mon grand pĂšre les comprit ; rassemblant en une seule poignĂ©e tout l’argent qu’il avait sur lui, il le jeta au milieu de la ronde comme Ă  des chiens. AussitĂŽt l’argent jetĂ©, tout devant lui, tourbillonna ; la terre trembla, et comment cela se fit-il ? il n’a pu l’expliquer lui-mĂȘme, mais il tomba jusqu’en enfer. — Oh lĂ  ! lĂ  ! petit pĂšre, s’écria-t-il en jetant ses regards de tous cĂŽtĂ©s. Quels monstres ne vit-il pas ! rien que museaux sur museaux ! comme on dit. Il y avait lĂ  autant de sorciĂšres qu’il tombe de la neige Ă  NoĂ«l, toutes parĂ©es, maquillĂ©es ; on eĂ»t dit des jeunes filles Ă  la foire ; et toutes, autant qu’il y en avait, dansaient comme enivrĂ©es quelque sarabande de diable ; et quelle poussiĂšre elles soulevaient ! Un chrĂ©tien eĂ»t tremblĂ© rien qu’à la vue des sauts qu’elles faisaient. Mon grand pĂšre, malgrĂ© toute sa frayeur, ne put s’empĂȘcher de rire en voyant de quelle maniĂšre les diables, avec leurs museaux de chien et leurs longues jambes d’Allemands, la queue frĂ©tillante, tournaient autour des sorciĂšres comme des jeunes gens auprĂšs des jeunes filles, tandis que les musiciens, frappant sur leurs joues de leurs poings comme sur des tambours de basque, faisaient siffler leurs nez comme des flĂ»tes. À peine aperçurent-ils le grand-pĂšre que, tous en bande, se prĂ©cipitĂšrent vers lui. Des museaux de cochon, de chien, de bouc, d’outarde, de cheval, tous tendaient le cou et cherchaient Ă  l’embrasser. Un tel dĂ©goĂ»t prit mon grand-pĂšre qu’il en cracha. Enfin on le saisit et on le fit asseoir devant une table si longue qu’elle irait bien de Konotop Ă  Batourine. Eh bien ! ça ne va pas encore si mal que cela ! » pensa le grand pĂšre en apercevant sur la table du porc, du saucisson, de l’oignon et du choux hĂąchĂ©s ensemble et beaucoup d’autres friandises. On voit que cette crapule de Diable n’observe pas le carĂȘme. » Il faut vous dire que mon grand-pĂšre ne manquait jamais l’occasion de se mettre quelque chose sous la dent quand il le pouvait ; le dĂ©funt avait bon appĂ©tit ; donc sans perdre de temps, il attira Ă  lui le plat oĂč Ă©taient le lard et le jambon, prit une fourchette presque aussi grosse que la fourche dont un moujik se sert pour le foin, piqua le plus gros morceau, fixa avec sa main un croĂ»ton de pain sous son menton, et, au moment oĂč il faisait le geste d’avaler le morceau, l’envoya, malgrĂ© lui, dans une autre bouche, et tout auprĂšs de ses oreilles, il entendit mĂącher un museau et le bruit de la mĂąchoire allait jusqu’aux deux extrĂ©mitĂ©s de la table. Mon grand-pĂšre ne dit mot ; il piqua un autre morceau ; dĂ©jĂ  il l’avait sur les lĂšvres, mais de nouveau, la bouchĂ©e alla dans un autre gosier. Il en fut de mĂȘme la troisiĂšme fois. La fureur s’empara de mon grand-pĂšre ; oubliant la peur et dans quelles pattes il se trouvait, il s’avança menaçant vers les sorciĂšres. — Eh quoi ! race d’HĂ©rode ! vous imaginez-vous que vous allez toujours vous moquer de moi ? Si vous ne me rendez pas Ă  l’instant mon bonnet de Cosaque, que je devienne catholique si je ne vous retourne pas vos groins sens devant derriĂšre ! À peine achevait-il ces paroles que tous les monstres montrĂšrent les dents, et s’esclaffĂšrent d’un tel rire que le cƓur de mon grand-pĂšre en fut glacĂ©. — C’est entendu, piaula l’une des sorciĂšres que mon grand-pĂšre jugea ĂȘtre la prĂ©sidente, car son museau Ă©tait encore plus laid que celui des autres, nous te rendrons ton bonnet
 seulement quand tu auras fait avec nous trois parties de suite au dourak[61]. Que faire ! un Cosaque jouer au dourak avec des femmes ! Mon grand-pĂšre se rebiffa d’abord, mais il dut cĂ©der. On apporta des cartes aussi crasseuses que celles avec lesquelles la fille d’un pope cherche Ă  deviner quel sera son fiancĂ©. — Écoute donc, aboya pour la seconde fois la sorciĂšre, si tu gagnes, ne fĂ»t-ce qu’une seule fois, le bonnet est Ă  toi ; mais si tu restes dourak les trois fois, alors il ne faut pas nous en vouloir, non seulement tu ne reverras plus ton bonnet, mais peut-ĂȘtre mĂȘme jamais plus le monde ! — Donne toujours les cartes, sorciĂšre, arrivera ce qui pourra. Les cartes furent donnĂ©es ; mon grand-pĂšre prit son jeu dans sa main — ce n’était mĂȘme pas Ă  regarder ; si encore mĂȘme, rien que pour la farce, il y avait eu un seul atout ! Des couleurs restant, c’était le dix qui Ă©tait le plus fort ; pas une figure, tandis que la sorciĂšre avançait toujours des cartes maĂźtresses. Mon grand-pĂšre dut rester dourak, et Ă  peine la premiĂšre partie fut-elle terminĂ©e, que de tous cĂŽtĂ©s les museaux se mirent Ă  aboyer, Ă  hennir, Ă  grogner Dourak, dourak, dourak ! » — Que votre peau en crĂšve, race de diable ! s’écria mon grand-pĂšre en se bouchant les oreilles. Allons, pensa-t-il, la sorciĂšre a trichĂ© en battant les cartes ; c’est Ă  mon tour maintenant de donner. » Il donna, retourna la carte d’atout, regarda son jeu qui Ă©tait bon ; il y avait aussi des atouts. D’abord ça alla on ne peut pas mieux ; mais la sorciĂšre abattit cinq cartes dont des rois. Mon grand-pĂšre n’avait heureusement en main que des atouts ; sans plus rĂ©flĂ©chir, il frappa de ces atouts les moustaches des rois. — HĂ© ! hĂ© ! mais ça n’est pas en Cosaque que tu joues lĂ  ? Avec quoi couvres-tu donc mes cartes, pays ? — Comment avec quoi ? avec des atouts. — Peut-ĂȘtre chez vous ce sont des atouts, mais pas chez nous. Mon grand-pĂšre regarde, et, en effet, c’est une couleur ordinaire. — Quelle manigance ! — Il dut rester pour la seconde fois dourak et les impurs de nouveau de crier Ă  tue-tĂȘte Dourak ! dourak ! dourak ! La table en tremblait et les cartes sursautaient. Mon grand-pĂšre s’échauffait de plus en plus. Il donna pour la troisiĂšme partie. Comme tantĂŽt, cela marcha d’abord trĂšs bien. La sorciĂšre abattit cinq cartes[62] ; mon grand-pĂšre les couvrit et prit, du talon, plein la main d’atouts. — Atout, s’écria-t-il, en frappant avec la carte sur la table au point de la retourner. La sorciĂšre, sans mot dire, la couvrit par un simple huit. — Et par quoi couvres-tu, vieille diablesse ? La sorciĂšre souleva la carte et il vit que sa carte Ă  lui n’était plus qu’un simple six. — Voyez-vous cette tricherie d’enfer ! dit mon grand-pĂšre ; et, de dĂ©pit, il frappa du poing sur la table de toutes ses forces. Heureusement que la sorciĂšre n’avait que des cartes dĂ©pareillĂ©es, tandis que mon grand-pĂšre avait des cartes paires. Il les abattit et, de nouveau, prit des cartes au talon ; mais toutes Ă©taient tellement mauvaises que les bras lui en tombĂšrent, et encore Ă©taient-ce les derniĂšres. D’un geste indiffĂ©rent, il laissa tomber sur la table un simple six. La sorciĂšre le ramassa. — Ah ! par exemple, qu’est-ce que cela veut dire ? il se mitonne quelque chose lĂ -dessous. Alors mon grand-pĂšre mit Ă  la dĂ©robĂ©e les cartes sous la table et les marqua d’un signe de croix. Et tout Ă  coup, il aperçut dans ses mains l’as, le roi, le valet d’atout ; ce qu’il avait pris pour un six, Ă©tait la dame d’atout. — Ah ! quel imbĂ©cile j’étais ! le roi d’atout, en veux-tu ? Ah ! ah ! tu le ramasses. Ah ! graine de chat ! et l’as, en veux-tu ? as ! valet ! Le tonnerre retentit dans l’enfer. La sorciĂšre se dĂ©battait dans une convulsion, et on ne sait d’oĂč, boum ! le bonnet tomba sur la face du grand-pĂšre. — Non, cela ne me suffit encore pas, cria mon grand-pĂšre qui avait repris courage et remettait son bonnet sur sa tĂȘte ; si, immĂ©diatement, mon brave cheval ne se montre pas Ă  l’instant devant moi, que le tonnerre m’étende raide sur cette place impure, si je ne vous soufflette pas tous avec la croix. Et dĂ©jĂ , il levait le bras, quand tout Ă  coup claqua devant lui le squelette de son cheval. — VoilĂ  ton cheval. Le pauvre homme pleura comme un enfant en regardant le squelette. Il regrettait son vieux camarade. — Fournissez-moi alors quelque autre cheval pour sortir de votre repaire. Le diable fit claquer son fouet ; un cheval de feu apparut sous mon grand-pĂšre et l’emporta comme un oiseau vers les nues. Cependant la frayeur l’envahit au milieu de la route quand le cheval, n’écoutant pas ses cris, n’obĂ©issant pas aux brides, vola au-dessus des abĂźmes et des marĂ©cages. Quels endroits ne vit-il pas ? On en tremblait rien qu’à l’entendre le raconter. Quand il s’avisait de regarder sous ses pieds, il voyait un gouffre Ă  pic ; et cet animal de Satan, sans s’en s’inquiĂ©ter, marchait droit dessus. Mon grand-pĂšre faisait tous ses efforts pour se bien tenir, mais une fois il ne rĂ©ussit pas. Il fut prĂ©cipitĂ© dans un gouffre et de son corps frappa si fort le sol qu’il croyait dĂ©jĂ  rendre l’ñme, ou du moins, il ne se souvint plus, Ă  vrai dire, de ce qui se passa ; quand il eut repris ses sens et qu’il regarda autour de lui, dĂ©jĂ  il faisait jour et il reconnut les endroits qui lui Ă©taient familiers ; il Ă©tait Ă©tendu sur le toit de sa propre khata. Il descendit et se signa. — Quelle sorcellerie ! Quelles choses Ă©tranges peuvent arriver aux hommes ! Il regarda ses mains, elles Ă©taient en sang. Il avança sa figure au-dessus d’un tonneau d’eau et la vit Ă©galement ensanglantĂ©e. AprĂšs s’ĂȘtre bien lavĂ© pour ne pas effrayer les siens, il entre doucement dans la khata, et il voit ses enfants marcher Ă  reculons et lui montrer leur mĂšre du doigt, en disant — Regarde, regarde, mĂšre qui saute comme une folle. En effef, sa femme Ă©tait assise, endormie devant sont rouet, la quenouille Ă  ia main, et, dans son sommeil, sursautait sur le banc. Mon grand-pĂšre la prit doucement par la main et la rĂ©veilla. — Bonjour, femme ! te portes-tu bien ? Celle-ci, les yeux Ă©carquillĂ©s, regarda longtemps, et enfin, reconnaissant son mari, elle lui raconta que, dans son rĂȘve, elle voyait le poĂȘle marcher Ă  travers la khata en chassant avec la pelle les marmites, les baquets et le diable sait quoi encore. — Allons, dit mon grand-pĂšre, toi tu n’as vu les diableries qu’en rĂȘve et moi je viens de les voir en rĂ©alitĂ©. Je crois bien qu’il faudra faire exorciser notre khata. Quant Ă  moi, je n’ai plus maintenant une minute Ă  perdre. AprĂšs un court repos, mon grand-pĂšre prit un cheval, et, cette fois, sans s’arrĂȘter ni jour ni nuit, il arriva Ă  destination et remit la missive Ă  la Czarine. À PĂ©tersbourg, mon grand-pĂšre vit de telles merveilles qu’il en eut pour longtemps Ă  raconter Comment on le conduisit dans un palais si haut que si l’on mettait dix khatas l’une sur l’autre, alors, mĂȘme alors, ce ne serait pas encore aussi haut ; comment il traversa une chambre et n’y trouva personne, une autre — personne, une troisiĂšme — encore personne, — personne mĂȘme dans la quatriĂšme et ce ne fut que dans la cinquiĂšme qu’il regarda et la vit elle-mĂȘme, elle, assise en couronne d’or, en svitka grise neuve, en bottes rouges et mangeant des galouckki d’or ; — comment elle ordonna de remplir plein le bonnet de mon grand-pĂšre de billets bleus[63] ; — comment
 Mais c’est Ă  ne plus s’en souvenir ! Quant Ă  ses dĂ©mĂȘlĂ©s avec le diable, mon grand-pĂšre oublia mĂȘme d’y penser ; et s’il arrivait que quelqu’un les lui rappelĂąt, mon grand-pĂšre gardait le silence comme s’il ne s’agissait pas de lui ; et on avait beaucoup de peine Ă  le dĂ©cider Ă  raconter comment la chose s’était passĂ©e. Pour le punir, probablement, de ce qu’il n’avait pas fait comme il l’avait dit, exorciser sa khata, chaque annĂ©e, juste Ă  l’anniversaire de cette aventure, il arrivait Ă  sa femme cette chose extraordinaire de danser malgrĂ© elle. Pas moyen pour elle de s’en empĂȘcher. N’importe Ă  quoi elle s’occupait, ses jambes commençaient Ă  gigoter et, Dieu me pardonne, allaient jusqu’aux cabrioles les plus extravagantes. FIN TABLE III. — Un rival inattendu. — Le complot. IV. — Les parobki s’amusent. ↑ Éleveur d’abeilles, Roudiy Panko » est le pseudonyme sous lequel Gogol a publiĂ© ce volume de nouvelles intitulĂ© par lui VeillĂ©es du hameau prĂšs de Dikagnka », titre que nous avons remplacĂ© par VeillĂ©es de l’Ukraine. » Note du Traducteur. ↑ Guitare primitive Ă  trois cordes. ↑ SoirĂ©es, veillĂ©es. ↑ Jeunes gens en langue ukranienne. ↑ ChaumiĂšre. ↑ Homme aux cheveux roux. ↑ Les paysans Russes enduisent leurs bottes de goudron. ↑ Le pouce sous l’index et on le montre en signe d’insulte. ↑ Charretiers. ↑ Nom d’une riviĂšre. ↑ Cafetan, svitka en langue ukranienne. ↑ LittĂ©ralement sĂ©culaire. ↑ Les femmes. ↑ Sorte de gelĂ©e de fruits. ↑ Lutin domestique. ↑ Boulettes de pĂąte cuite de forme oblongue. ↑ Pour avoir la vĂ©ritable prononciation ukrannienne de ce mot, il faudrait aspirer fortement l’h. ↑ Fils du pope. ↑ PĂątes de fromage cuites dans l’eau. ↑ Diminutif de gaiouchki, sorte de gros macaroni plein et coupĂ© trĂšs court. ↑ Diminutif de pampouchki, autre pĂąte moins frite. ↑ Diminutif de tovtchenik, boulette frite de farine de pois. ↑ Pains en forme de couronnes. ↑ Izba ou khata — chaumiĂšre. ↑ LittĂ©ralement le PeĂŻssi, mĂšche de cheveux que le juif polonais porte le long de l’oreille. ↑ Fourrure en peau de mouton. ↑ Lampion usitĂ© dans la Petite Russie et composĂ© d’un morceau de poterie garnie de graisse de mouton Ă  l’intĂ©rieur. Note de l’auteur. ↑ Diminutif de Paraska. ↑ Que portent les femmes mariĂ©es. ↑ LittĂ©ralement la tĂȘte. ↑ L’izba russe, la chaumiĂšre. ↑ Diminutif de Hanna. ↑ Cafetan. ↑ Autre diminutif de Hanna. ↑ Commandant une sotnia, une compagnie de cent cosaques. ↑ Femme de moujik. ↑ Danse nationale de l’Ukraine. ↑ AssemblĂ©e des chefs de famille de la commune. ↑ Les Ukraniens portent des chemises comme des blouses en guise de vĂȘtement. ↑ Seigneur, propriĂ©taire rural. ↑ FĂȘte de l’Église russe. Intercession de la Vierge qui a lieu le premier octobre, et est devenue pour les moujiks une date courante comme la Saint-Jean, la Toussaint, etc. ↑ Pelisse en peau de mouton. ↑ Pelisse de peau de mouton dont la laine se trouve Ă  l’intĂ©rieur. ↑ Le vade rĂ©tro, formule de l’exorcisme. ↑ Le poĂȘle en forme de fourneau des chaumiĂšres russes, toujours trĂšs large, fournit Ă  une certaine partie de sa surface une chaleur assez tempĂ©rĂ©e pour que l’on puisse y coucher. Note du traducteur. ↑ Hetmann des Zaporogues. Note du traducteur. ↑ En Russie, tous les livres de l’Église, tels que brĂ©viaires, etc., sont Ă©crits en caractĂšres vieux-slaves. On commençait autrefois Ă  apprendre Ă  lire par ces caractĂšres ; et on considĂ©rait comme suffisamment lettrĂ© celui qui les connaissait. Note du traducteur. ↑ Sorte de manteau de dessous soutachĂ© qu’on portait anciennement et qui Ă©tait parfois doublĂ© de fourrures. Note du traducteur. ↑ Mot ukranien dĂ©signant deux mĂšches de cheveux qui s’enroulent autour des oreilles. Note du traducteur. ↑ EspĂšce de mandoline Ă  huit cordes usitĂ©e en Ukraine. Note du traducteur. ↑ Petits pains laits exprĂšs pour le mariage. ↑ Korablik, ancienne coiffure de l’Ukraine. ↑ Locution russe pour exprimer la gaietĂ© poussĂ©e jusqu’à la folie. Note du traducteur. ↑ On fait en Ukraine couler le perepolokh quand quelqu’un s’effraie et que l’on veut savoir qui en est la cause on jette du plomb fondu ou de la cire dans l’eau froide et la figure ou l’image que ce liquide prendra est justement celle qui a fait peur au malade ; aprĂšs cela la frayeur doit cesser. On fait cuire la soniachnitsa pour, faire passer le mal de cƓur et le mal de ventre. À cet effet on allume de l’étoupe, on la jette dans un gobelet et on la renverse dans une cuvette pleine d’eau posĂ©e sur le ventre du malade ; puis, aprĂšs certaines paroles murmurĂ©es, on lui donne Ă  boire une cuillerĂ©e de cette eau. Note de l’Auteur. ↑ MonastĂšre de premier ordre. ↑ Jeu de cartes. ↑ Charrette. ↑ Voiturier. ↑ Danse oĂč l’on s’accroupit en faisant glisser les pieds l’un aprĂšs l’autre avec une grande vitesse et qui exige une habiletĂ© extrĂȘme. Note du traducteur. ↑ Expression russe qui a le mĂȘme sens que lorsque nous disons cela siffle dans mon oreille. Note du traducteur. ↑ Jeu de cartes oĂč le perdant reste Dourak, c’est-Ă -dire imbĂ©cile. ↑ Le jeu de Dourak consiste Ă  rester sans cartes. Chaque partner a cinq cartes en main ; il a le droit d’abattre les cartes qui font la paire ainsi deux dix, deux valets, etc., plus une. De sorte que, sur cinq cartes, si quatre font deux paires, le jeu se trouvera Ă©talĂ© d’un seul coup. Si dans ces cinq cartes, il ne se trouve aucune paire, il n’abat qu’une seule carte que son partner doit couvrir de la carte au-dessus ou par un atout. Ce qu’il ne peut pas couvrir, il le ramasse, ainsi de suite jusqu’à ce que le talon soit Ă©puisĂ©. Note du traducteur. ↑ Billets de cinq roubles.
Hopla c'est le vent, Farine de froment farine de blĂ© noir, OĂč est-ce qu'est la pie GĂ©rard Delahaye. 1998 | Dylie Productions Hop lĂ  ! GĂ©rard Delahaye | 01-10-1998 Compositeurs : GĂ©rard Delahaye . DurĂ©e totale : 39 min. 01. Hop la c'est le vent . GĂ©rard Delahaye. Hop lĂ  ! 02:56 Auteur : GĂ©rard Delahaye / Compositeurs : GĂ©rard Delahaye. 02. Farine de froment farine de blĂ©
Les crĂȘpes salĂ©es ou galettes sont consommĂ©es essentiellement en Bretagne mĂȘme si de nombreux bretons installĂ©s dans de nombreux pays font dĂ©couvrir la culture culinaire bretonne Ă  l’étranger en faisant dĂ©guster les crĂȘpes bretonnes mais aussi les galettes bretonnes. La farine de sarrasin ou de blĂ© noir La plante de sarrasin Avant de dĂ©couvrir la recette de la vĂ©ritable pĂąte Ă  galette,faisons plus ample connaissance avec le sarrasin et non le sarrazin, nom donnĂ© au peuple de confession musulmane pendant au Moyen Age. Le sarrasin latin Fagopyrum esculentum est une espĂšce de plantes Ă  fleurs, annuelles, de la famille des PolygonacĂ©es, de la mĂȘme famille que l’oseille ou la rhubarbe, de 20 Ă  70 cm de hauteur, aux tiges ramifiĂ©es et une plante acide. Le sarrasin est une plante originaire de l’Asie du nord-est Mongolie, Chine; elle a ensuite traversĂ© l’ExtrĂȘme Orient jusqu’en Europe. La farine de blĂ© noir est le nom communĂ©ment donnĂ© Ă  la farine de sarrasin ; le sarrasin n’est pas une espĂšce du genre Triticum genre regroupant les variĂ©tĂ©s de blĂ©, ni mĂȘme une espĂšce de graminĂ©es, ce n’est donc pas une cĂ©rĂ©ale, on parle de pseudo cĂ©rĂ©ale. Informations issues su site Tela Botanica Les bienfaits du sarrasin la graine de sarrasin Les bienfaits de la graine de sarrasin sont nombreux c’est une plante riche en protĂ©ines vĂ©gĂ©tales et en acides aminĂ©s essentiels, contenant des fibres et des minĂ©raux comme le magnĂ©sium et le calcium. Le sarrasin ne contient pas de gluten. Elle a des propriĂ©tĂ©s reminĂ©ralisantes, stimulantes et est Ă©galement trĂšs digeste. C’est Ă©galement une excellent engrais vert utilisĂ© en agriculture biologique qui se satisfait de sols pauvres et acides. Un grand Chef Quels sont les ingrĂ©dients Pour environ 10 galettes 500g de farine de blĂ© noirle volume Ă©quivalent en eau2 cuillĂšres Ă  cafĂ© rases de de gros sel Farine + sel / eau Eau / Farine+ sel Mettre la farine de blĂ© noir dans le saladier, rajouter le sel puis l’eau et mĂ©langer le tout jusqu’à obtention d’une pĂąte onctueuse. Elle doit ĂȘtre trĂšs lisse et couler de la louche comme une crĂšme; elle ne doit pas ĂȘtre trop liquide; Soyez rassurĂ©, la pĂąte se mĂ©lange facilement et il est quasi impossible de faire des grumeaux; on obtient alors ce qu’on appelle le pĂąton. MĂ©langer farine sel eau Obtenir une consistance similaire pour la pĂąte Ă  galette On suggĂšre parfois de battre la pĂąte pour qu’elle soit plus lĂ©gĂšre et qu’elle s’étale plus facilement. PĂąton pĂąte fermentĂ©e avec le verre de lait » Ă  la surface Couvrir la pĂąte obtenue avec un linge propre et laisser reposer plusieurs heures au frigidaire; le temps de repos est indispensable pour permettre une bonne hydratation de la farine et pour favoriser la fermentation; La fermentation est un processus mĂ©tabolique complexe qui permet de dĂ©composer l’amidon de la farine sous l’influence d’enzymes et de micro organismes dont les bactĂ©ries. Au terme de cette transformation, apparaĂźt le verre de lait » c’est le phĂ©nomĂšne par lequel le liquide prime sur la matiĂšre et apparaĂźt Ă  la surface de la processus de fermentation est indispensable Ă  la bonne rĂ©alisation des galettes ou crĂȘpes qui auront une meilleure consistance et un meilleur goĂ»t. le temps de repos permettra d’obtenir une pĂąte plus lĂ©gĂšre et les protĂ©ines contenues dans la farine de sarrasin donneront une coloration brunĂątre Ă  vos galettes. la pĂąte fermentĂ©e est appelĂ©e pĂąton; Important il est impossible de faire des galettes avec une pĂąte qui n’a pas reposĂ© un minimum de temps Au moment d’employer le pĂąton, rajouter de l’eau pour Ă©tendre la pĂąte; attention Ă  ne pas la rendre trop liquide; elle doit rester onctueuse et glisser sur la cuillĂšre en bois Cuisson de la pĂąte Ă  galette La cuisson des crĂȘpes peut se faire Ă  la pĂŽele ou sur une bilig ou galetiĂšre mais il est prĂ©fĂ©rable d’utiliser une bilig comme le veut la tradition bretonne; l’idĂ©al est d’utiliser deux bilig, permettant ainsi de terminer la cuisson d’une crĂȘpe, aprĂšs l’avoir retournĂ©e et dĂ©buter la cuisson d’une autre crĂȘpe sur la premiĂšre bilig. Ceci permet de gagner un peu de temps. Etat de la plaque Elle doit ĂȘtre impeccable Vous devez dĂ©poser un peu de gros sel sur le centre de la plaque avec un cuillĂšre Ă  soupe d’huile de tournesol, puis, avec du papier absorbant plusieurs feuilles repliĂ©es sur elles-mĂȘmes ou un chiffon doux, coincer le sel au milieu du papier et effectuer doucement, sans exercer une pression trop forte sur la plaque, des mouvements circulaires sur l’ensemble de la plaque. Ceci va permettre d’enlever les impuretĂ©s et irrĂ©gularitĂ©s sur la surface de la bilig. VĂ©rifier la tempĂ©rature de la plaque elle doit ĂȘtre Ă  240°C RĂ©gler la pĂąte vĂ©rifier son onctuositĂ© et son Ă©paisseur en rajoutant Ă©ventuellement un peu d’eau. Graisser la plaque avec un chiffon imbibĂ© d’huile sans sel cette fois tenez le rozell entre le pouce et l’index versez une louche de pĂąte sur la plaque chaude en gĂ©nĂ©ral dans le quart supĂ©rieur gauche puis Ă©taler la pĂąte avec le rozell en tirant et non en poussant progressivement cette derniĂšre sur toute la surface de cuisson par des petits mouvements rĂ©guliers en forme de virgule. La pointe intĂ©rieure du rozell tourne autour d’un point central reprĂ©sentĂ© par le centre de la bilig. Vous obtenez un joli rond d’épaisseur uniforme; pas vrai? Ă©talage de la pĂąte Ă  galette avec le rozell C’est beaucoup plus facile d’étaler la pĂąte Ă  galette que la pĂąte Ă  crĂȘpe; si, si c’est vrai Important le rozell doit ĂȘtre rincĂ© dans de l’eau froide entre chaque galette; prĂ©voir une barquette remplie d’eau pour le rinçage tout savoir sur les profils des personnes manipulatrices et comment les dĂ©jouer Quelles garnitures pour les galettes de blĂ© noir? La traditionnelle galette bretonne est la galette dite complĂšte », contenant un oeuf miroir ou brouillĂ©, du jambon et du fromage rĂąpĂ© type emmental; c’est la galette classique, laquelle, servie avec une salade verte, constitue une excellent repas, accompagnĂ© d’une bolĂ©e de cidre ou de lait ribot 🙂 La garniture peut se faire selon les goĂ»ts de chacun, en ajoutant ou non, un ou plusieurs ingrĂ©dients. Il est usuel de trouver comme ingrĂ©dients des lĂ©gumes oignons, tomates, poireaux. On trouve souvent des galettes Ă  l’andouille ou aux noix de Saint Jacques, du saumon; le fromage de chĂšvre peut remplacer le fromage rĂąpĂ© Il existe peut ĂȘtre autant de galettes que de bretons et il est possible de faire preuve d’originalitĂ© et de crĂ©ativitĂ©. DĂ©couvrez toutes les garnitures de galettes les plus utilisĂ©es POUR ALLER PLUS LOIN Lafarine la plus utilisĂ©e est la farine de blĂ© tendre (ou froment). Mais on tire des farines d'autres vĂ©gĂ©taux, tels que le sarrasin (ou blĂ© noir), le maĂŻs, l'avoine, le seigle, l'orge, le riz, le millet et mĂȘme le pois chiche. Ces farines sont rarement employĂ©es pures. On les mĂ©lange dans diverses proportions avec de la farine de froment. On fabrique Ă©galement des galettes qui
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